Tous égaux, les élèves québécois? Pas du tout. De récentes données sur le décrochage scolaire et le taux d'obtention de diplômes consultées par La Presse révèlent un véritable fossé entre certaines régions, alors qu'une profonde faille divise l'île de Montréal en deux univers à des années-lumière l'un de l'autre.
> Décrochage: de grandes disparités régionales
> Décrochage: la France s'intéresse à l'approche québécoise
Les adolescents qui vont à l'école à l'est du boulevard Décarie ont jusqu'à deux fois moins de chances de terminer leur secondaire avec un diplôme en poche que ceux qui vivent dans l'ouest de Montréal.
Il existe bien deux solitudes dans la métropole. Une analyse réalisée par le professeur Michel Perron, titulaire de la Chaire de recherche sur les conditions de vie, la santé et les aspirations des jeunes de l'Université du Québec à Chicoutimi, dévoile une véritable cassure séparant les écoles des deux moitiés de l'île.
«On voit très bien le clivage», note le chercheur. À l'ouest, entre Senneville et LaSalle, 15 arrondissements sur 17 affichent un taux de décrochage de moins de 15%, loin sous la moyenne québécoise. À l'est, de Côte-des-Neiges à Pointe-aux-Trembles, seul un arrondissement affiche un score aussi enviable. Les 14 autres ont des taux de sortie sans diplôme des jeunes au secondaire qui oscillent entre 15% et plus de 25%.
Pourquoi? Les pistes sont nombreuses.
D'abord, croient les experts, il y a le facteur pauvreté. «C'est un des facteurs de risque les plus importants, note Andrée Mayer-Périard, directrice générale de Réseau réussite Montréal. On retrouve dans l'est de l'île des quartiers parmi les plus défavorisés.»
La carte de Michel Perron montre en rouge - qui représente le pire score sur le plan du taux de décrochage - ce qu'il appelle le «T inversé de la pauvreté»: les arrondissements de Ville-Marie, le Sud-Ouest et de Verdun.
«Les élèves ne naissent pas tous égaux et ils ne sont pas égaux dans le soutien qu'ils reçoivent de leur milieu», prévient le professeur.
Mais le niveau socioéconomique d'un quartier n'est pas le seul coupable. À preuve, les arrondissements aisés d'Outremont et de Westmount font piètre figure. Le premier affiche un taux de décrochage supérieur à 25%, le second est légèrement sous la moyenne québécoise, présentant de 15 à 20% d'abandon.
Les forces de l'immigration
Pendant ce temps, l'ouest de l'île de Montréal doit aussi composer avec des poches de pauvreté, en plus de recevoir de nombreux immigrants. Dans certaines écoles, on peut entendre jusqu'à 90 langues différentes en se promenant dans les corridors. Un défi, mais aussi un atout.
«On est une terre d'accueil assez forte, alors on doit tout le temps s'adapter et se réinventer, explique Yves Sylvain, directeur général de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, qui couvre les établissements francophones de l'ouest de Montréal et accueille 60% des nouveaux arrivants. Une classe homogène, ça n'existe pas chez nous. Alors nos gens doivent faire preuve de beaucoup de créativité. Ça paraît.»
Sans compter que pour beaucoup de communautés culturelles, l'école, c'est primordial. «L'école est une valeur très importante pour eux. Malgré une pauvreté économique, il y a un bagage culturel fort à la maison», observe M. Sylvain.
«Le défi, précise Andrée Mayer-Périard, c'est la francisation. Une fois qu'ils parlent la langue, ils réussissent très bien. Mieux, même, que les "de souche".»
Valorisation
La valeur accordée à l'école par la famille et le milieu des élèves est un autre facteur déterminant dans leur réussite scolaire. Il faut faire un détour par Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles pour en saisir l'ampleur.
Bien qu'assez nanti, l'arrondissement voit près d'un élève sur cinq décrocher du secondaire. «C'est là qu'on retrouve les raffineries. Les parents ont pu bien gagner leur vie sans aller à l'école. Comme ce n'est pas valorisé, ça ne donne pas envie aux jeunes d'y aller», dit Mme Mayer-Périard.
Bien sûr, les établissements scolaires eux-mêmes jouent aussi un rôle dans le taux de décrochage. «Il y a des commissions scolaires qui s'en tirent mieux que d'autres, note Michel Perron. L'engagement des enseignants et de l'équipe-école a une influence sur la motivation et la réussite.» Dans l'ouest de Montréal, Yves Sylvain vante «l'effet Marguerite-Bourgeoys». «Ils font de gros efforts», convient le chercheur.
Taux de sorties sans diplôme (%)
1. Senneville
2. Sainte-Anne-de-Bellevue
3. Baie-D'Urfé
4. L'Île-Bizard-Sainte-Geneviève
5. Pierrefonds-Roxboro
6. Kirkland
7. Beaconsfield
8. Dollard-des-Ormeaux
9. Pointe-Claire
10. Dorval
11. Saint-Laurent
12. Lachine
13. Côte-Saint-Luc
14. Montréal-Ouest
15. LaSalle
16. Hampstead
17. Ahuntsic-Cartierville
18. Mont-Royal
19. Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce
20. Westmount
21 . Verdun
22. Villeray-Saint-Michel/Parc-Extension
23. Outremont
24. Sud-Ouest
25. Rosemont-La Petite-Patrie
26. Le Plateau-Mont-Royal
27. Ville-Marie
28. Montréal-Nord
29. Saint-Léonard
30. Mercier-Hochelaga-Maisonneuve
31. Anjou
32. Rivière-des-Prairies/Pointe-aux-Trembles
33. Montréal-Est
