C'est une école où l'on perd parfois son camarade en cours d'année parce que sa famille est expulsée. Une école où les enfants ont connu la guerre ou vécu dans la jungle. Une école multiethnique où la maternelle à 4 ans à temps plein, ça sauve des enfants. La direction et les enseignants en sont convaincus.

L'école Enfant-Soleil, dans l'arrondissement de Saint-Laurent, est une pionnière. Il y a 20 ans, donc bien avant que le ministère de l'Éducation ne cherche à mettre en place une classe de maternelle pour les enfants de 4 ans par commission scolaire, cette école avait eu la permission de le faire.

Pourquoi une telle maternelle est-elle si importante dans ce quartier, et sans doute ailleurs? Parce que les parents ne se soucient pas du développement de leur enfant? Tout le contraire ici. «Dans ce quartier très multiethnique, les parents ont souvent tout abandonné pour l'avenir de leurs enfants, rappelle Suzanne Marchand, directrice de l'école. Ils se plaignent parfois de ce que nous ne sommes pas assez axés sur la performance au Québec. On doit souvent leur rappeler qu'il s'agit d'enfants de 4 ans et qu'il faut respecter leur développement.»

N'empêche, bien que l'éducation soit prioritaire dans ces familles, les enfants sont défavorisés.

D'abord, il y a cette pauvreté à combattre. «Des enfants pleurent de faim, le matin», relève Mme Marchand.

Certains ont été traumatisés par la guerre ou par l'exil, ajoute Line Desjardins, enseignante. Dans plusieurs cas, ils verront un psychologue scolaire.

D'autres, trop couvés dans le cocon familial, ont tout simplement besoin qu'on leur apprenne l'autonomie. «Certains nous arrivent en poussette à 4 ans ou alors en couche ou au biberon, relève Mme Desjardins. Il faut aussi leur apprendre à s'habiller, parfois.»

Comme les mères des quartiers multiethniques sont souvent au foyer, les enfants n'ont souvent pas eu l'occasion d'apprendre le français dans une garderie ou un centre de la petite enfance.

Comme Cao, un petit Chinois de 4 ans qui affronte sa première rentrée scolaire en ne comprenant rien du tout au français. «Voyez comme il est angoissé, nous fait remarquer son père dans un français hésitant. Il est tout en sueurs.»

Keumoe, qui est né au Cameroun, «n'a pas la langue facile», nous dit aussi son père. Il est bien allé à la garderie du quartier, «mais ça se passait tout en espagnol».

«Parfois, les enfants qui nous arrivent parlent un drôle de français, raconte Suzanne Marchand. On constate alors que les parents ont cherché à abandonner leur langue maternelle pour apprendre le français à leurs enfants. On leur explique alors que l'idée, c'est d'ajouter le français, pas de renier sa propre culture.»

Walter, dont la mère est salvadorienne, ne parle pas français. L'espagnol non plus. En fait, il parle très peu et, au printemps, à l'inscription, l'école a vite constaté qu'il avait besoin de consulter un orthophoniste. Sa mère, Zuleyma Aguilera, est rassurée. «Ici, il aura accès à plusieurs spécialistes. Ici, il sera bien, il sera entouré.»

Dousawan Canthavimone, qui sait lui aussi que les enfants de cette classe sont en observation, demeure nerveux. Un peu comme les hypocondriaques qui ont peur des maladies, M. Canthavimone panique à l'idée que les experts de l'école découvrent «quelque chose de pas correct» à sa petite Savannah. «Moi, mes parents étaient laotiens et l'école, je ne m'y suis jamais intégré. Je veux absolument que ma fille, elle, s'adapte bien.»

Line Desjardins se montre rassurante. Cette petite Savannah a l'air de bien s'amuser, non? Non, Mme Aguilera, votre petit Walter ne va pas pleurer et il ne voudra pas s'enfuir, je suis habituée. Et à Noël, c'est promis: tout le monde va comprendre le français.