Janie sera peut-être caissière à l'épicerie du coin, l'été prochain. Vous la reconnaîtrez parce qu'elle aura enseigné à votre plus vieux pendant l'année scolaire.

Les enseignants au statut précaire appréhendent les vacances estivales cette année depuis l'entrée en vigueur de la réforme de l'assurance-emploi, en janvier dernier.

La jeune femme de 27 ans a beau cumuler les cours particuliers, les cours d'été et une tâche de 31% dans une école secondaire, elle tombe quand même dans la catégorie des «prestataires fréquents» de l'assurance-emploi et pourrait être contrainte d'accepter un emploi à 70% du dernier salaire touché, à une heure de voiture de chez elle, pendant la belle saison.

Statut précaire

C'est que la jeune diplômée en enseignement du français de l'Université de Montréal, à l'instar des quelque 47 000 enseignants qui n'ont pas leur permanence dans une commission scolaire, a recours à l'assurance-emploi dès que la demande pour ses services diminue. Enseignante à statut précaire depuis quatre ans, Janie ne s'attend pas à obtenir sa permanence avant 10 ans et assure que sans l'aide gouvernementale, elle «n'y arriverait pas».

«Je ne suis pas payée à la relâche et à Noël, encore moins pendant les journées pédagogiques, explique la jeune femme de 27 ans. Je coupe tout ce que je peux.»

En vertu des critères établis par le gouvernement Harper, un prestataire est considéré comme «fréquent» s'il a fait appel à l'aide gouvernementale pendant trois périodes atteignant au moins 60 semaines au cours des cinq dernières années.

L'été prochain, Annie-Claude sera de ceux-là. Elle cumule les tâches depuis quatre ans - elle enseigne en 6e année, mais aussi en 3e et en 4e -, mais ne se fait pas d'illusion. Elle ne sera pas une employée permanente avant au moins trois ans. Résultat: elle pourrait bien reprendre son emploi de jeune étudiante pour l'été. «J'ai quand même travaillé dans un Wal-Mart à 17 ans», lance-t-elle à la blague.

«Je ne peux pas trouver un autre emploi, parce que je dois rester disponible pour faire de la suppléance, ajoute-t-elle, plus sérieusement.Le soir, la fin de semaine, je fais de la préparation de cours. Je suis parfois appelée le matin même [pour des suppléances]. Comment je dis à un employeur que je n'irai pas travailler parce que je préfère aller faire ce pour quoi j'ai été formée?»

La CSQ inquiète

À la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), la présidente Louise Chabot s'inquiète pour les 60 000 enseignants qu'elle représente. «Les profs [ils sont 103 000 au Québec] connaissent leur contrat pour l'année suivante au mois d'août seulement», souligne-t-elle. «Ils sont nombreux à ne rien avoir avant le mois d'octobre, tandis que les demandes augmentent au fil de l'année scolaire, avec les congés de maladie ou de maternité.»

Dans cette situation, difficile pour les enseignants de déterminer le moment où ils retourneront au travail. «Ils vont presque être obligés de mentir pour qu'on les engage», lance-t-elle, en référence à la réticence qu'entretiennent les employeurs à l'idée d'embaucher un employé qui peut abandonner ses fonctions à tout moment.