C'est l'histoire d'un petit village isolé en Haute-Mauricie. Un village dévitalisé. Les entreprises avaient déserté les lieux. La population ne cessait de diminuer. Au point où l'école du village a fermé, en 2003. C'est l'histoire de bénévoles qui se sont mobilisés parce qu'ils refusaient de laisser mourir leur village. Il y a quatre ans, ils ont mis sur pied la P'tite École, une école de rang résolument tournée vers l'avenir, où tous les enfants travaillent avec un iPad. C'est l'histoire de la P'tite École de Lac-Édouard.

Les maisons qui bordent le lac Édouard apparaissent au détour d'une courbe sinueuse, au bout d'un chemin sans issue aux allures de montagnes russes.

À une heure de route au nord-est de La Tuque, la P'tite École est facile à repérer. Elle loge dans l'ancienne école du village, qui a fermé ses portes en 2003 et qui appartient maintenant à la municipalité.

L'imposant bâtiment de brique rouge abrite aussi la mairie, la bibliothèque et le centre communautaire. C'est le coeur du village de Lac-Édouard.

L'endroit est isolé. Le téléphone cellulaire n'y fonctionne pas. On compte à peine 175 habitants, dont plusieurs sont de jeunes retraités venus s'installer de façon permanente dans ce paradis de la nature et du plein air.

Au bout du village, les vestiges de l'ancien sanatorium rappellent un passé pas si lointain.

Mais à la P'tite École, on a les pieds bien campés dans le siècle présent. Les sept élèves de la classe, de la 1re à la 4e année, sont équipés d'une tablette numérique.

Un écran géant et l'appareil Apple TV, acquis récemment, permettent de faire des présentations interactives.

Debout devant ses camarades assis à leur pupitre en bois, la petite Gabrielle Martial, qui est en 2e année, présente sa recherche sur le «dollar des sables». Tout en parlant, elle manipule son iPad pour projeter à l'écran des illustrations de cet oursin plat qu'elle a trouvées sur l'internet. En retrait, l'enseignante, Rollande Lecours, filme l'exposé oral avec sa tablette numérique.

Enseignante pendant 37 ans dans une école primaire de Trois-Rivières, Mme Lecours a adopté rapidement l'iPad. Grâce à une antenne satellite, toute la municipalité de Lac-Édouard a accès à l'internet haute vitesse, véritable ouverture sur le monde, dit-elle. «Je regrette de ne pas avoir eu cet outil quand j'enseignais à temps plein.»

Mme Lecours passe des soirées à scruter les nouvelles applications pour découvrir ce qui plaira à ses élèves, tant en français qu'en mathématiques, en sciences ou en anglais. À tel point qu'elle est même invitée à donner un atelier sur l'utilisation de la tablette au congrès provincial de l'Association d'éducation préscolaire du Québec, en novembre.

«J'aime d'abord la facilité d'utilisation. C'est tactile et je pense qu'au fond, on est tous un peu kinesthésiques.» Les enfants peuvent travailler seuls ou en équipe et, surtout, ils acquièrent de la curiosité intellectuelle, relate Mme Lecours.

L'iPad est un outil idéal pour une classe multiniveaux comme celle de la P'tite École, croit-elle.

Pendant qu'elle travaille avec Félix Bernard et Camille Chevarie, ses deux élèves de 4e année, Daisyray Quitich, en 1re année, apprend à lire, écouteurs sur les oreilles. En 3e année, Kennéric Bellemare se familiarise avec l'alphabet en anglais en récitant une comptine.

Mais le papier demeure bien présent. La tablette est un outil de plus, qui s'ajoute aux cahiers d'exercices et qui suscite l'intérêt des enfants, souligne Mme Lecours.

Des citoyens mobilisés

Quand l'école du village a fermé, il y a près de 10 ans, ce fut un coup dur pour Lac-Édouard. Des familles sont parties. Les parents ne pouvaient concevoir que leur enfant doive partir à l'aube pour aller à l'école à La Tuque, par une route dangereuse, et ne rentrer qu'à la tombée du jour.

C'est pour cette raison qu'un petit groupe de parents s'est mobilisé et a demandé à la municipalité de lui prêter un local.

Ces parents ont convaincu Mme Lecours de les suivre dans le projet. Retraitée de l'enseignement, elle s'était installée définitivement à Lac-Édouard avec son mari, Larry Bernier, devenu maire du village.

Bien vite, Mme Rollande - comme l'appellent les enfants - s'est mise à enseigner bénévolement à plein temps.

Les bénévoles sont au coeur de la P'tite École. Le midi, des citoyennes se relaient pour surveiller les élèves qui mangent au gymnase. Une autre, Noëlline Fortin, enseigne les arts plastiques.

Les parents donnent les cours d'anglais, d'éducation physique et d'art dramatique. Même le maire donne à l'occasion des cours de sciences et d'anglais.

Au fil des ans, les soeurs de Félix Bernard et de Camille Chevarie, premiers élèves de la P'tite École, se sont greffées à la classe. De nouvelles familles se sont ajoutées. Le village compte maintenant un tout-petit et deux bébés qui suivront la trace des autres élèves dans quelques années.

Officiellement, le projet de la P'tite École est considéré comme une scolarisation à la maison. Selon les normes du Ministère, il n'y a pas suffisamment d'élèves pour rouvrir l'école. La commission scolaire de l'Énergie se montre toutefois réceptive et appuie ce projet novateur.

«C'est un projet intéressant pour la communauté. Idéalement, on aimerait l'aider davantage», affirme le directeur général de la commission scolaire, Denis Lemaire.

Il souligne que les résultats des élèves de la P'tite École montrent qu'ils n'ont aucun retard et qu'ils ont même de l'avance dans certaines matières comparativement aux autres enfants du même âge.

Depuis trois ans, la commission scolaire alloue une subvention annuelle de 20 000$ à la P'tite École, qui lui permet d'engager une jeune enseignante deux jours par semaine pour épauler Mme Lecours.

Joanie Matteau a été embauchée dès sa sortie de l'Université du Québec à Rimouski, son brevet d'enseignante en poche. Elle a été choisie parmi 25 candidats.

«Je vois cela comme un privilège parce que moi aussi, je suis à l'école, donc j'apprends avec les enfants, j'apprends avec Mme Rollande», dit-elle.

Elle n'exclut pas de travailler à la P'tite École à temps plein, un jour, si cela devient possible.

Tous l'espèrent. Le village ne peut pas se permettre de perdre de nouveau son école, croit Nicolas Bernard, père de trois enfants et l'un des instigateurs du projet.

«Quand nos enfants vont partir au secondaire, il faut que cette école continue», dit-il.

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Lac-Édouard en quelques chiffres

Un territoire de 980 km2

175 résidants permanents

1000 villégiateurs

200 lacs, dont le lac Édouard, long de 26 km

À quatre heures et demie de route de Montréal, à 65 km au nord-est de La Tuque.