Des milliers d'élèves arrivent dans les écoles du Québec sans connaître un seul mot de français. Quelques semaines plus tard, ils ont lié des amitiés et parviennent à communiquer dans la langue de Molière. Incursion dans les classes de francisation dans le cadre de la quatrième Semaine pour l'école publique, organisée par la Fédération autonome de l'enseignement.

Dans la classe d'accueil de Nicolas Martin, dans l'ouest de Montréal, les élèves arrivent au rythme des guerres qui secouent la planète. Les enfants en provenance de la Syrie et de différents pays d'Afrique sont nombreux, ces jours-ci.

Certains arrivent d'un camp de réfugiés. D'autres ont vécu sous les bombes. Arrivés au Canada depuis quelques jours ou quelques semaines, ils débarquent dans les classes de francisation, déboussolés.

«La première semaine, je les laisse tranquilles. Juste suivre le groupe, sortir leur cahier en même temps que les autres, arriver à l'école à l'heure, c'est déjà beaucoup», explique Nicolas Martin, titulaire de la classe d'accueil des 9-10 ans à l'école Jean-Grou.

Le jour de notre passage, trois nouvelles frimousses s'étaient ajoutées le matin même à ce groupe, dont les 18 élèves parlent 7 langues.

Pour la plupart, ils ne connaissent pas un mot de français à leur arrivée. Quelques semaines plus tard, ils communiquent dans la langue de Molière. Pour le professeur, c'est enrichissant. «On voit les résultats tout de suite. C'est spectaculaire», dit M. Martin.

Les enfants se font des amis rapidement. Ils ressemblent à tous ceux de leur âge, à la différence que, parfois, leurs souvenirs les rattrapent. La cloche qui sonne la récréation rappelle les alertes avant un bombardement. Même chose lorsqu'un avion passe à basse altitude.

De façon générale, les élèves parlent peu de leur vécu, de ce qu'ils ont laissé derrière eux. «J'ai des enfants qui viennent de Homs, en Syrie, et on dirait qu'ils n'ont rien vu. Certains font même des blagues, constate M. Martin. Pour les plus vieux, au secondaire, c'est parfois plus difficile. Je me souviens entre autres d'un jeune qui venait du Congo et qui avait été enfant-soldat. Il était marqué.»

Originaire de la Syrie, Karim Younes est arrivé au Canada le printemps dernier avec sa mère et son jeune frère. Son père est resté derrière. Malgré tout, il se plaît, ici. «Je suis content de venir à l'école, mais je trouve que je ne suis pas encore très bon en français», juge-t-il avec sévérité.

À Montréal, les élèves peuvent rester jusqu'à 30 mois en classe d'accueil. Au primaire, la moyenne est d'une année scolaire; au secondaire, elle est de deux années.

Les élèves intègrent ensuite les classes ordinaires selon leur niveau. Plusieurs rattrapent le retard scolaire accumulé pendant qu'ils apprenaient le français au point de se retrouver parmi les meilleurs de leur classe.

Beaucoup d'élèves sous-scolarisés

C'est une autre histoire avec les élèves qui accusent un important retard scolaire ou qui ne sont jamais allés à l'école. Ils semblent plus nombreux depuis quelques années, et les professeurs manquent de ressources et de matériel pédagogique adapté.

«Le gouvernement veut faire une immigration sans discrimination, mais il faut nous donner les moyens pour le faire. Je ne peux pas mettre dans la même classe un élève de 15 ans qui est au même niveau qu'un élève québécois du même âge et un autre qui n'a jamais tenu un crayon de sa vie», lance Aura Oporanu, elle-même roumaine d'origine, professeure de francisation à l'école secondaire Cavelier-De LaSalle.

À Granby, la direction de l'école Haute-Ville éprouve les mêmes problèmes. La région est une zone désignée par le gouvernement pour l'accueil des immigrés.

«Nous avons plus d'élèves qui nous arrivent sous-scolarisés qu'avant», confirme le directeur adjoint et coordonnateur de la francisation, Gabriel Plante.

La situation est telle que la direction a ouvert une classe pour accueillir une douzaine de ces élèves. Aisha Berete en fait partie. Vêtue d'un jeans rouge, chaussée de sandales façon léopard, elle ressemble aux adolescentes de son âge. À la différence qu'elle n'allait pas à l'école en Côte d'Ivoire. «J'aime beaucoup l'école. Je suis contente», confie-t-elle, deux ans après son arrivée.

Pour qu'ils s'intègrent plus facilement, ces élèves sont jumelés avec un élève québécois. Ils sont aussi incités à participer à des activités comme la danse ou le soccer, pour lesquelles ils démontrent généralement beaucoup d'aptitudes.

L'école accueille une vingtaine d'autres immigrés plus scolarisés. Même s'ils ne parlent pas français, ils sont intégrés aux classes ordinaires dès leur arrivée, contrairement à Montréal. L'idée est qu'ils ne prennent pas de retard scolaire. Une enseignante en francisation les aide en français.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

En quelques semaines, les jeunes arrivants communiquent en français, un résultat spectaculaire, selon Nicolas Martin, titulaire de la classe d'accueil des 9-10 ans à l'École Jean-Grou.