Les centres jeunesse manquent cruellement d'éducateurs masculins. Dans un univers où beaucoup de garçons ont eu un père négligent ou tout simplement absent, ce manque d'hommes est encore plus criant. Regard sur une situation qui risque de s'aggraver.

Il y a quelques semaines, Vladimir Dufresne, agent d'intervention au centre de Rivière-des-Prairies, a découvert avec stupéfaction qu'un pensionnaire de 15 ans avait cessé d'utiliser le condom avec sa nouvelle copine. Pas parce qu'il ne connaissait pas les risques que cela comporte - en fait, il les lui a tous récités -, mais simplement parce que demander des condoms aux éducatrices de son unité le gênait depuis que le seul homme de l'équipe était parti en congé.

«Pour lui, il n'était pas question de demander ça à une femme. Ça le mettait mal à l'aise, raconte M. Dufresne. Si je ne lui avais pas posé de questions, il aurait continué à avoir des relations sexuelles sans condom jusqu'à ce que l'éducateur revienne. Il ne serait pas allé en acheter à la pharmacie et ne se serait jamais résolu à en parler aux filles.»

Si le manque d'hommes dans les écoles a longtemps fait polémique, il est aussi inquiétant dans les centres jeunesse. À Montréal, plus de 70% des éducateurs sont des femmes. La proportion atteint 87% chez les recrues de 19 à 26 ans. Dans certaines unités, où vivent généralement 10 ou 12 jeunes, il arrive que les 10 intervenants soient des femmes. Au centre jeunesse Mont Saint-Antoine, rue Sherbrooke Est, une seule des 16 unités a la parité. Toutes les autres sont majoritairement féminines. Le portrait est semblable ailleurs. «Pourtant, nos pensionnaires ont besoin de modèles masculins, estime Vladimir Dufresne. On leur dit qu'ils peuvent s'en sortir, aller plus loin dans la vie, mais les seuls adultes accomplis qu'ils côtoient sont des femmes. Alors pour les garçons, c'est plus difficile d'y croire.»

«Beaucoup de ces jeunes ne savent pas comment être un homme, ajoute-t-il. Leur père a disparu alors ils n'ont pas eu de modèle. Ils ont besoin d'un autre homme pour les aider, leur apprendre que c'est faux de dire qu'un gars, ça ne pleure pas et leur expliquer comment trouver une femme belle sans que la bave leur coule de la bouche.»

Au centre de Rivière-des-Prairies, où vivent près de 200 adolescents, le besoin d'effectif masculin se fait sentir partout: dans les milieux de vie et les gymnases, comme lorsque vient le temps de se confier.

Une parité souhaitée

Certains adolescents accordent aussi moins de crédibilité aux femmes, soit parce qu'ils les trouvent de leur goût, nous dit-on, ou pour des questions culturelles ou de valeurs. Nathalie Gélinas, éducatrice depuis plus de 12 ans, en sait quelque chose. «J'ai longtemps travaillé dans une unité où il n'y avait pratiquement que des femmes, raconte-t-elle. Il arrivait que des jeunes tiennent moins compte de ce qu'on disait à cause de note sexe. Je leur disais quelque chose et ça avait moins d'importance qui si c'était venu de la bouche d'un collègue masculin.» Elle tient à préciser que le contraire est vrai aussi. «Certains sont plus à l'aise avec des femmes, d'autres avec des hommes. C'est pour ça qu'il faut un équilibre.»

Selon Michael*, 17 ans et jeune contrevenant, «il y a des gens qui aiment mieux se confier à quelqu'un du même sexe qu'eux». Le jeune homme a souvent remarqué que certains de ses camarades (tous des garçons) se retiennent de parler de ce qui les tracasse plutôt que de discuter avec une femme. «Dans la vie, il faut un père et une mère. C'est la même chose ici», note Jonny*, lui aussi âgé de 17 ans, qui habite au centre depuis plus de cinq mois. Assis à la table de l'unité où ils vivent, les deux garçons parlent d'une même voix. «Les filles ne font presque pas de sport avec nous et quand elles en font, il faut leur faire attention», déplorent-ils.

Pour Nathalie Gélinas, le ratio magique est de 50/50. Mais le recrutement est difficile. La proportion d'hommes diminue sans cesse dans ce qui était jadis une profession masculine. Sur les bancs d'école, dans les programmes qui mènent vers un emploi en centre jeunesse (comme la technique en éducation spécialisée), les garçons se font de plus en plus rares. «Quand on reçoit des CV intéressants envoyés par des hommes, disons qu'on les convoque très rapidement en entrevue», indique Jocelyne Boudreault, agente d'information pour les centres jeunesse de Montréal.

* nom fictif