Le suicide de Marjorie Raymond, lundi, a happé tout le monde à Sainte-Anne-des-Monts. Mais le choc se répercute bien au-delà de la ville; il atteint le Québec et plus encore. Et l'indignation générale suscitée par l'intimidation dont a souffert Marjorie a engendré un courant de haine qui déferle notamment sur Facebook et heurte tous ceux qui ont côtoyé Marjorie. Une haine démesurée et injustifiée, estiment les jeunes. Dans la polyvalente du bord du fleuve, où nous avons rencontré des adolescents encore sous le choc, il n'y a pas de bons ni de méchants. Juste des ados, en deuil.

«Là, là, dites au monde qu'y faut que ça arrête! On n'arrête pas de recevoir des messages d'insultes de personnes qu'on connaît même pas! Y savent même pas qui ont est! Ils veulent-tu d'un autre suicide?»

Devant l'école secondaire Gabriel-Le Courtois, sous le vent frisquet qui balaie le fleuve, une douzaine d'adolescents grillent une cigarette en sautillant. Ils étaient dans le même clan que Marjorie Raymond. Ils sont aussi dans le même clan qu'une autre adolescente - qu'on prénommera Sophie pour les besoins de l'article -, ciblée depuis lundi comme étant le «tyran» de Marjorie. Et s'il faut en croire les tas de messages qu'ils reçoivent sur Facebook, ils sont tout simplement coupables par association.

Marjorie Raymond, 15 ans, élève de 3e secondaire, était une jolie adolescente aux longs cheveux noirs. «Elle faisait partie des filles les plus populaires de l'école», dit sa mère, Chantale Larose. Une fille bien entourée, qui sortait souvent avec ses copains et qui avait du succès auprès des garçons. Une fille souriante, disent ses amis. «Elle essuyait nos larmes et nous disait que tout allait s'arranger», se souvient une fille.

Dans la bande de garçons et de filles, Marjorie et Sophie n'étaient pas meilleures amies, mais bonnes copines. Sur Facebook, des photos les montrent ensemble, enlacées, posant pour le photographe.

Mais depuis quelque temps, «Marjorie n'allait pas bien, affirme un garçon. Elle n'était pas heureuse.» «Elle disait qu'elle se trouvait grosse et laide, alors que c'était vraiment pas le cas», ajoute une fille.

Et puis, il y a eu cette bataille, il y a un mois, avec Sophie. Une histoire de jalousie à cause d'un garçon que convoitait Sophie, mais qui s'est retrouvé dans les bras de Marjorie. Un beau jour de la fin octobre, Sophie, folle de jalousie, a saisi Marjorie par les cheveux et lui a balancé la tête sur un casier. Une empoignade a suivi entre les deux filles. Résultat: deux jours de suspension pour Marjorie, cinq pour Sophie.

Marjorie, dit sa mère, ne s'est pas remise de l'épisode. «Elle pleurait beaucoup, elle était toujours fatiguée», raconte-t-elle, assise dans la cuisine de la maison familiale. Marjorie a pratiquement cessé d'aller à ses cours, ne voulait plus se retrouver dans la même classe que Sophie. «Ça chuchotait dans son dos, raconte sa mère. À sa place, moi non plus, je n'aurais pas voulu y aller.» Ce n'était pas le premier épisode d'intimidation que Marjorie subissait: chaque année, depuis trois ans, un élève plus vieux qu'elle en avait fait son souffre-douleur pendant de brèves périodes. Mais selon plusieurs témoignages, c'était la première fois que Sophie et Marjorie s'affrontaient.

«C'était juste une chicane de filles!», lance un garçon, devant l'école. «Mais c'est une guerre de filles qui a dégénéré», dit Mme Larose. Dans la longue lettre qu'elle a laissée à sa famille, Marjorie garde une phrase à la fin pour accuser «la vie et les gens jaloux, qui veulent seulement gâcher le bonheur des autres».

Pris à partie

Quand elle a écopé d'une suspension de cinq jours le 1er novembre après s'être battue avec Marjorie, Sophie s'en est vantée sur son profil Facebook, laissant entendre qu'elle avait pris sa revanche sur sa rivale. Près d'une vingtaine de ses «amis Facebook» s'en sont amusés.

Mardi, dans une conversation sur Facebook, des élèves ont accusé Sophie d'avoir «une mort sur la conscience». En deux heures, une centaine de messages ont été publiés sur le profil de Sophie. Si certains se montraient virulents envers Sophie, d'autres ont tenté de calmer le jeu. «Je ne sais pas si (Sophie) se sent mal, j'espère qu'elle se sent mal, mais attendez pas qu'elle se sente trop mal», a écrit une adolescente.

Bientôt, tout a commencé à déraper.

La conversation - publique - a commencé à circuler sur l'internet. Les élèves qui avaient pris la défense de Sophie se sont mis à recevoir des messages haineux d'inconnus les accusant d'avoir poussé Marjorie au suicide.

«Y a du monde de Laval et d'ailleurs qui m'ont écrit pour me traiter de plein de noms! lance une adolescente. Eille! Ils ne me connaissent même pas! Ils ne savent même pas que Marjorie, c'était aussi mon amie! On était tous dans la même gang! Pour qui ils se prennent?»

«C'est rendu tellement gros! dit en soupirant un grand ado. Ça aurait pu tomber sur n'importe qui d'entre nous, cette dernière chicane. C'est tombé sur Sophie.»

«Il n'y avait pas que l'intimidation, martèlent les ados. La chicane avec Sophie, c'est la goutte qui a fait déborder le vase.» Et les attaques dont ils sont eux-mêmes l'objet pour dénoncer l'intimidation ont exactement l'effet contraire, disent-ils.»