Avant, les éducateurs avaient du temps, beaucoup de temps pour intervenir. Par centaines, leurs protégés étaient gardés derrière des portes verrouillées. Un an, deux ans, parfois plus.

Que faire quand le temps est compté? Que seul un grave danger peut justifier qu'on ferme la porte?

«Il faut utiliser ce temps à bon escient. Intervenir de façon plus intense et plus efficace à court terme», affirme le professeur Denis Lafortune, de l'École de criminologie de l'Université de Montréal.

Sa réponse aux centres jeunesse? Ajuster leur stratégie. Avec son aide, les éducateurs de La Passerelle s'y emploient depuis quelques mois déjà. D'ici à la fin de l'année, la même méthode pourrait être appliquée dans toutes les unités d'encadrement intensif du Québec.

Première étape: déterminer si le jeune se met en danger à cause de conflits familiaux, de ses amis, de son impulsivité, etc. En ciblant ce qui le pousse à agir, on diminue le risque qu'il recommence. «Ici, nous nous attaquons à la souffrance qui l'amène à se mettre en danger pour qu'il redevienne fonctionnel», résume la chef de La Passerelle, José Gauthier.

Bien sûr, le jeune doit d'abord admettre ses besoins. La façon dont on l'aborde est donc déterminante. Le séjour en encadrement intensif a beau être bref, il peut suffire à provoquer un déclic, à motiver le jeune à changer, affirme M. Lafortune. Une fois cela accompli, il ne se trouve plus dans le même état d'esprit. Il peut retourner attaquer ses problèmes de fond ailleurs.

Pour provoquer ce fameux déclic, les éducateurs apprivoisent l'approche motivationnelle, mise au point auprès des toxicomanes. «C'est l'art de motiver quelqu'un qui a déjà beaucoup de pression sans en rajouter une couche, résume M. Lafortune. Parce que trop de pression sociale produit l'effet contraire.»

Même si elle est de plus en plus à la mode depuis 20 ans, cette approche, jusqu'ici, a été peu utilisée avec les jeunes Québécois, précise-t-il. En gros, il s'agit d'éviter d'étiqueter et de blâmer. De ne pas prendre l'autre de haut. De lui demander la permission avant de donner un conseil. «Personne ne veut être dirigé avec une manette, dit M. Lafortune. Surtout pas des jeunes qui se sentent déjà très entravés dans leur liberté.»

Lorsqu'un jeune résiste, il faut l'apprivoiser, par l'humour par exemple. Et il faut le motiver à changer. Inutile de le sermonner. Il suffit de lui faire voir qu'il veut une chose et son contraire, bref, d'utiliser ses contradictions pour le faire douter, expose le criminologue. Ensuite, on peut, entre autres choses, l'aider à peser les pour et les contre de chaque option, sans lui dicter la réponse.

Dans d'autres centres jeunesse, des éducateurs doutent encore qu'on puisse vraiment aider un jeune sans avoir beaucoup de temps pour établir un lien. «Quand la loi a changé, il y a eu soudain un tel roulement qu'on se serait cru aux urgences! Mais ça s'est amélioré depuis», affirme pour sa part José Gauthier.

«Les changements ont du bon, estime M. Lafortune. Parce que lorsqu'on gardait plusieurs jeunes en intensif, on nuisait un peu à tout le monde. Les plus à risque ne bénéficiaient pas d'une intervention suffisamment intense et les autres étaient soumis à de très mauvaises influences.»