Comme les Dre Nadia et Super Nanny des émissions de télé du même nom, des intervenants montréalais volent maintenant à la rescousse des parents dépassés. Plusieurs fois par semaine -et pendant près de trois mois s'il le faut-, ils se rendent à domicile et observent, écoutent, conseillent... L'idée: éviter les ruptures et les coups. Au moment de fêter le premier anniversaire du programme, la semaine dernière, la formule semblait très efficace.

Il y a eu des trous dans les murs. Une porte de chambre défoncée. Les chaises qui valsaient dans la cuisine. Sans oublier quelques pluies de coups sur l'écran d'ordinateur.

Le fauteuil démantibulé a dû prendre le chemin de la poubelle. Les meubles de cuisine ont rapidement suivi. «J'ai appelé deux fois la police parce que mes fils frappaient dans les portes comme des malades en criant. Je pensais ne jamais pouvoir remettre mon deuxième dans le droit chemin. Je ne voulais rien savoir de le garder.»

Seule avec trois adolescents dans son appartement de la pointe est de l'île, Catherine Tremblay (qui nous a demandé de changer son nom) s'est retrouvée face à un mur lorsqu'elle a joint la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) en mai dernier. Au lieu de venir chercher son cadet de 14 ans, on l'a dirigée vers Marilyn Savoie, intervenante du nouveau service d'urgence Crise-Ado-Famille-Enfance (CAFE), qui a su la convaincre d'essayer autre chose.

Créé il y a un an, ce nouveau service d'intervention immédiate et intensive à domicile a déjà secouru 568 familles au bord de l'explosion. Et les intervenants s'attendent à en aider deux fois plus cette année. «Il faut éviter que les familles se brisent, explique la coordonnatrice régionale du programme, Marie-Claude Leduc. Demander le placement à la DPJ a un impact majeur. Pour le jeune, c'est un rejet immense. Tout le monde est gagnant si on évite ça.»

Les ruptures entre parents et enfants sont loin d'être réservées aux familles défavorisées. «Les problèmes de communication avec les ados sont universels. On nous appelle autant de L'Île-des-Soeurs que de Verdun», illustre la jeune femme.

«Dans les zones plus résidentielles de l'île, le téléphone sonne beaucoup, constate-t-elle. Surtout à l'heure du souper, quand les familles se retrouvent ensemble et que ça éclate. Et aussi surtout dans les périodes de stress: rentrée scolaire, premier bulletin scolaire, Noël...»

Que les parents appellent le service d'Anjou, de Pierrefonds, de Rosemont ou de Saint-Léonard, ils parlent surtout de bris de règles, de drogue, de délinquance et de décrochage, énumère Mme Leduc. «Les parents vont dire: «Avant le coin de réflexion marchait très bien. Là, j'envoie mon enfant dans sa chambre et il sort par la fenêtre!»»

On voit aussi beaucoup de conflits de valeurs entre des parents immigrants et leurs jeunes ayant grandi ici. Tous bilingues, les intervenants établis à Montréal ont ainsi eu besoin d'un interprète dans 30% des cas.

En Montérégie, où le programme est né il y a 11 ans, les parents aidés se comptent aujourd'hui par milliers. Ceux-ci peinaient surtout à appliquer une discipline constante et à superviser adéquatement leur enfant, révèle une étude menée en 2005 par des chercheurs de l'Université de Sherbrooke.

D'après les chercheurs, grâce à CAFE, les problèmes familiaux s'améliorent, sans disparaître pour autant. Le nombre de signalements à la DPJ pour troubles de comportement a quand même diminué de 25% dans les quatre ans ayant suivi l'implantation du service.

Solution miracle? «Le programme est conçu pour les urgences, quand il y a un risque que le lien soit coupé ou qu'on en vienne aux coups, nuance Marie-Claude Leduc. Un parent qui n'est pas au bord de la catastrophe n'acceptera pas quelque chose d'aussi intensif.»

Par ailleurs, à Montréal, une famille sur 10 a quand même fini par être dirigée vers la DPJ l'an dernier. «Rétablir la communication exige des compromis des deux côtés. Ça peut être confrontant», prévient Marilyn Savoie, intervenante au CSSS de la Pointe-de-l'Île, pionnier et leader du programme à Montréal.

«Mais le jeune qui se sent méprisé, quand il réalise que son père consulte des professionnels, qu'il se préoccupe de lui, ça lui fait déjà du bien», ajoute Marie-Claude Leduc.

«Souvent, la communication est tellement effritée que le parent a un choc, indique-t-elle. Il constate qu'il ne connaît aucun des adultes significatifs dans la vie de son enfant.

Catherine Tremblay se félicite aujourd'hui d'avoir tenté l'expérience. Pendant près de quatre mois, Marilyn Savoie l'a guidée et encouragée. «Je savais déjà que je devais faire plus de discipline, résume Mme Tremblay. Mais à force de brûler la chandelle par les deux bouts, c'était plus facile de dire oui que d'endurer les cris, les négociations, le «gossage».»

«Pourtant, mon fils me dit aujourd'hui que ça lui fait du bien d'avoir des règles! Il va à l'école, il se couche le soir et ça ne crie plus dans la maison. Il fallait seulement que je persévère, dit-elle. Il fallait que je croie en moi, et que quelqu'un d'autre croie en moi aussi.»

Comment fonctionne le programme à Montréal

CAFE existe à Montréal depuis un an. Il a pris le relais d'un service similaire offert par la DPJ de Montréal. Dans chacun des 12 centres de santé et de services sociaux (CSSS) de l'île, trois ou quatre intervenants répondent au téléphone entre 15h et 22h, sept jours sur sept.

Ils se rendent au domicile dans les deux heures qui suivent l'appel. Le tiers des familles aidées l'an dernier avaient été dirigées par la DPJ, les autres par leur CLSC. Les jeunes en cause devaient avoir de 5 à 17 ans. Ils en avaient en moyenne 14 et il s'agissait autant de garçons que de filles. En Montérégie, où le programme est offert depuis 1999, une étude menée en 2005 a révélé que les familles aidées par CAFE étaient en général plus nanties que les familles où intervient typiquement la DPJ.

Par ailleurs, dans 40% des cas, les deux parents vivaient toujours sous le même toit. Quant aux jeunes, environ la moitié risquaient de décrocher et la moitié fumaient de la marijuana chaque week-end. Pour joindre un intervenant de CAFE, téléphonez à Info-Santé au 811. Ou, idéalement, appelez directement le service d'accueil psychosocial de votre CLSC.

Pour obtenir ses coordonnées, tapez votre code postal dans la zone verte, en haut à droite de la page d'accueil de l'agence de la santé et des services sociaux de Montréal: www.santemontreal.qc.ca