Les élèves inscrits au secteur anglophone non subventionné devront y séjourner au moins trois ans avant d'obtenir le droit d'aller à l'école anglaise, a appris La Presse.

Potentiellement explosive du point de vue politique, la réponse du gouvernement Charest au jugement de la Cour suprême prévoit que le ministère de l'Éducation devra évaluer le dossier de chaque élève avant d'accorder, pour lui, ses frères et soeurs et leurs descendants, l'accès au réseau scolaire anglophone.

Le plus haut tribunal a invalidé l'an dernier la loi 104, adoptée en 2002 pour proscrire les «écoles passerelles», des établissements non subventionnés que les élèves fréquentaient un an seulement avant de pouvoir accéder au réseau scolaire anglophone régulier.

Plusieurs critères seront considérés: la provenance de l'élève, la langue d'enseignement choisie pour ses frères et soeurs et le type d'établissement fréquenté. On tiendra aussi compte de la cohérence du parcours - des années d'études non consécutives pèseront moins lourd qu'un parcours suivi.

Mais au-delà de tous ces critères, la durée de fréquentation sera déterminante: personne ne pourra se qualifier sans avoir passé la moitié de son primaire - trois années sur six -dans ces écoles non subventionnées.

Malmené depuis des semaines par les allégations de favoritisme à l'endroit des firmes qui contribuent à la caisse du PLQ, le gouvernement Charest n'a pas le choix, pour répondre à la Cour suprême, de poser le pied sur le terrain miné de la Charte de la langue française. Il s'agit d'«une opération délicate» pour Jean Charest, qui ne peut se permettre d'ouvrir un autre front, de soulever une autre controverse, explique-t-on dans les cercles libéraux.

Le député de Jacques Cartier, Geoffrey Kelley, sonde et prépare tout à la fois depuis un bon moment la communauté anglophone, très mobilisée. Il y a quelques semaines, on a déjà passé le mot aux leaders d'opinion anglophones de Montréal: pas question, comme le préconise le Parti québécois, de recourir à la clause dérogatoire, «nonobstant» de la Constitution canadienne, qui aurait permis de décréter que ces écoles non subventionnées tombent sous l'égide de la Charte des droits.

Étendre la loi 101

Le Conseil supérieur de la langue française, dans un avis publié plus tôt cette année, a proposé d'étendre la loi 101 à ces écoles, sans recourir toutefois à la clause dérogatoire, ce qui aurait été immédiatement contesté en Cour, estiment les juristes du gouvernement.

Dans un projet de loi qui sera déposé avant l'ajournement de l'Assemblée nationale pour l'été, le gouvernement voudra définir ce qu'est le «parcours authentique» d'un élève non anglophone pour avoir accès au réseau scolaire anglophone.

Cette solution est aussi contestable en cour, prévient-on chez les spécialistes.

En 2002, adoptée sous le PQ, la loi 104 visait à mettre fin aux «écoles passerelles», qui permettaient aux élèves d'accéder au réseau scolaire anglophone régulier.

Avant 2002, chaque année, environ 1000 élèves passaient ainsi d'un réseau à l'autre, des élèves qui normalement auraient dû faire leurs études en français.

Pour bien s'assurer que les écoles «passerelles» ne réapparaîtront pas, on ajoutera des pénalités pouvant aller jusqu'à la révocation du permis d'enseignement de ces établissements.

La Cour suprême avait jugé que le gouvernement du Québec pouvait légitimement maintenir la primauté du français. On ouvrait la porte à la détermination de balises pour établir «l'authenticité» du parcours de l'élève. La grille d'analyse serait connue, la valeur de chaque critère établie.

Conrad Ouellon, président du Conseil supérieur de la langue, avait soutenu qu'il ne devrait pas être possible de «s'acheter un droit constitutionnel» en payant pour les études de son enfant au secteur non subventionné. Québec soutiendra qu'il répond à cet argument par le fait qu'il imposera d'autres critères au passage vers l'anglais que la seule durée du séjour.

«Personne ne pourra dire qu'en payant 20 000$, il obtiendra le droit d'étudier en anglais pour ses enfants», explique-t-on. Les droits de scolarité sont très variables dans ces institutions non subventionnées, pouvant aller de 5000$ à 12 000$ par année.

Des simulations ont été faites en appliquant les nouvelles balises aux cohortes connues et le nombre de passages vers le réseau anglophone sera «marginal», prédit-on.

Bien que le premier critère sera la «durée» de fréquentation du réseau non subventionné, cela n'ouvrira pas automatiquement la porte au réseau scolaire anglophone. L'origine des parents sera examinée; les ressortissants de pays anglophones auront plus de chances de pouvoir accéder au secteur régulier, et en principe les candidats francophones pourront faire une demande, avec peu de chances de succès toutefois.

On tiendra aussi compte du «milieu, ou du type d'établissement». Certaines écoles anglophones non subventionnées ne sont pas des écoles «passerelles» -la moitié de ces institutions sont des institutions susceptibles de permettre un passage rapide d'un système à l'autre.

Un élève qui a commencé à étudier en anglais et qui fait le saut au secteur francophone perdra aussi des points, tout comme celui dont les frères et soeurs étudient en français.

Actuellement, 5000 élèves fréquentent les écoles anglophones non subventionnées; l'accès au réseau anglophone n'est pas garanti pour eux. Le projet de loi ne sera pas adopté avant l'automne, la prochaine rentrée se déroulera donc sous l'empire de la loi 104.