Déçu du jugement de la Cour suprême, Québec envisage entre autres d'assujettir à la loi 101 les écoles anglophones privées non subventionnées. Ce serait un moyen d'éliminer le recours à ces «écoles passerelles» pour contourner la loi et obtenir le droit d'accéder au réseau anglophone financé par l'État.

La ministre responsable de la Charte de la langue française, Christine St-Pierre, a confirmé hier que c'est l'un des scénarios à l'étude. «Nous avons demandé des avis juridiques sur cette hypothèse», a-t-elle affirmé lors d'un point de presse.

Aucune décision n'a toutefois été prise. «Nous allons analyser toutes les possibilités», a indiqué la ministre, se gardant de préciser quels sont les autres scénarios.

Les «écoles passerelles»

Le gouvernement Charest entend utiliser le temps que lui alloue la Cour suprême - jusqu'à un an - pour trouver un autre moyen que la loi 104, déclarée inconstitutionnelle, afin de colmater la brèche dans la Charte de la langue française. Des parents anglophones et allophones contournent la loi 101 en envoyant leur enfant dans une «école passerelle» pendant une courte période de temps pour ensuite réclamer le droit de fréquenter le réseau régulier de langue anglaise.

Québec ne peut recourir à la clause dérogatoire pour interdire cette pratique. Comme le prévoit la Charte canadienne des droits et libertés, une province ne peut se soustraire aux obligations de l'article 23 garantissant le «droit à l'instruction dans la langue de la minorité».

«Le gouvernement va prendre le temps qu'il lui faut pour étudier ce jugement, a affirmé le premier ministre Jean Charest. On va travailler avec tous les parlementaires pour arriver à une solution qui est le reflet de nos valeurs québécoises. Ça inclut, au premier rang, la primauté du français.»

M. Charest a souligné que, selon la Cour suprême, «l'objectif législatif» du gouvernement - protéger la langue française dans l'enseignement - est «valide».

Pour quelques dollars

La chef du Parti québécois, Pauline Marois, demande au gouvernement d'ajouter à la Charte québécoise des droits une clause interprétative afin d'assurer la primauté du français, ce que celui-ci a refusé jusqu'ici. Elle propose également que la loi 101 s'applique aux «écoles passerelles».

La décision du plus haut tribunal du pays a ranimé le débat linguistique à l'Assemblée nationale. «La Cour suprême vient d'ouvrir une brèche dans la protection de la langue française, puisqu'elle va permettre, pour n'importe quel francophone ou allophone, pour quelques milliers de dollars, d'échapper à la loi 101 et de s'acheter une éducation en anglais pour ses enfants et toute sa descendance», a lancé Pauline Marois lors de la période des questions.

«La Cour suprême, cour nommée par une autre nation, vient charcuter encore une fois un instrument fondamental pour la nation québécoise», a-t-elle ajouté, un discours repris par le chef bloquiste Gilles Duceppe à Ottawa.

Charest choqué

Cette remarque a fait bondir le premier ministre Jean Charest. Mme Marois «interprète cette affaire-là sous la lorgnette du Parti québécois. Elle affirme une chose qui, franchement, est choquante, à savoir que la Cour suprême est la cour d'une autre nation», a-t-il affirmé au cours d'un débat houleux. M. Charest a rappelé que la Cour d'appel du Québec avait d'abord invalidé les dispositions de la loi 104, adoptée à l'unanimité sous le gouvernement Landry en 2002.

La chef péquiste a accusé le premier ministre de défendre les juges de la Cour suprême plutôt que la langue française. Fixant son adversaire d'un air grave, Jean Charest a dit avoir l'intention de «combattre avec toutes (ses) forces ceux et celles qui cherchent à créer de la chicane» à des fins «partisanes».

Pour Pauline Marois, la décision de la Cour suprême risque de ranimer les tensions linguistiques. «Si le gouvernement ne réagit pas rapidement, il y a toujours des risques de dérapage quand on parle des questions linguistiques. C'est fragile, c'est sensible. Chaque fois qu'on se retrouve devant les tribunaux supérieurs, c'est toujours pour en perdre un morceau, pour un peu reculer. Et ça, ça ne peut pas faire autrement que de heurter les francophones.»