L'URSS dans les manuels scolaires

L'URSS dans les manuels scolaires

Mon livre de sciences physiques porte sur les pluies acides, un problème réglé depuis près de 20 ans. On y cite des articles alarmistes publiés dans La Presse en... 1987! J'ai l'impression de perdre mon temps à le lire, alors que tant d'enjeux environnementaux actuels pourraient être abordés. «Comme le marché est petit à l'éducation des adultes, les livres ne sont pas refaits souvent, me dit mon prof. C'est pire en géographie, ils te parlent de l'URSS!» Autre exemple: pour 20$, on peut acheter un livre sur l'état des relations internationales, produit en... 1992.

Violence au menu

Le midi de mon troisième jour de classe, je m'assois à table près de Sabrina, une jolie Québécoise de 17 ans environ, qui est hors d'elle. Sabrina «s'est pognée» avec une prof, m'explique l'une de ses amies, une grosse femme dans la vingtaine. «Elle est tellement bête, cette prof-là, que plus jeune je lui en aurais câlissé une tabarnak dans la face, pis j'aurais sacré le bordel sur son bureau», dit la grosse femme en riant, sous l'approbation des quatre autres élèves autour de la table. «Moi, j'y aurais craché dessus», ajoute un gars portant une casquette.

Avertissement: passage dégoûtant

Une femme brune d'environ 40 ans poursuit la conversation tout en mangeant son trio poutine-hot-dog-Pepsi. «J'ai le goût de dire à mon prof: penses-tu que j'ai besoin de ton français pour aller torcher le cul des vieux?» dit-elle. La grosse femme en rajoute: «Pis des maths, on en as-tu besoin? J'vas-tu diviser la marde des vieux en quatre quand j'vas la ramasser au centre d'accueil?» Tout le groupe éclate de rire.

Inscrites en secondaire 2, ces femmes n'ont pas le choix d'étudier, puisqu'il faut au minimum réussir le français, les maths et l'anglais de secondaire 3 pour être admis au cours de préposé aux bénéficiaires. Il faut donc savoir faire un calcul algébrique avant de pouvoir changer les couches des personnes âgées. On est bon à quoi, quand on n'y arrive pas?

Élèves voilées

Trois sombres silhouettes lourdement voilées étudient avec moi au centre. L'une de ces jeunes filles est dans mon premier cours du matin. Elle porte un voile noir qui lui encadre le visage de façon serrée et tombe jusqu'au bas de son dos, en plus d'un manteau noir boutonné du cou jusqu'aux chevilles. Au huitième jour de classe, j'ose lui parler. Très, très timidement, elle me dit venir de Turquie. Ironie du sort, elle ne pourrait étudier habillée de la sorte dans son pays, puisque le voile à l'école est interdit en Turquie. Au Québec, elle en a le droit. Est-ce que cela lui donne enfin la chance d'étudier?

Insultes sur murs

Des graffitis insultant les Québécois, d'autres s'en prenant aux immigrants ornent les murs des toilettes. Règle générale, l'harmonie interethnique semble pourtant régner au centre. Dans la grande salle, des Asiatiques se regroupent pour jouer aux cartes ou avaler les nouilles qu'ils apportent dans des thermos. Les Latinos ne se gênent pas pour parler espagnol entre eux, même s'il est officiellement obligatoire de parler français dans l'école. Des «pures laines» partagent de grosses poutines. Mais bien d'autres groupes sont hétérogènes.

$$$

«I love money», dit un autre graffiti. Un élève du centre porte fièrement un énorme pendentif doré en forme de symbole de dollar, couvert de faux diamants. Si on aime l'argent, il faut étudier: au Québec, le revenu médian des travailleurs à temps plein sans diplôme est d'à peine 28500$ (Statistique Canada, 2005). Il grimpe à 34000$ avec un diplôme d'études secondaires (D.E.S. ou D.E.P). Quant aux bénéficiaires de l'aide sociale, ils touchent en moyenne 700$ par mois, par ménage (décembre 2008). Or, 42 % des adultes prestataires d'aide sociale n'ont pas de diplôme du secondaire et 32,2 % sont de scolarité «inconnue».

La remarque qui tue

«Ah oui?» me dit, étonnée et incrédule, une jeune femme portant le hijab en apprenant que j'ai réussi le cours de français de secondaire 5. «Pourtant, ceux qui sont d'ici ont beaucoup de difficultés en français, plus que nous les immigrants, m'indique-t-elle. C'est parce qu'ils ont mal appris le français, tout petits, tandis que nous on apprend les vraies règles.» J'encaisse le coup, en espérant qu'elle découvre un jour que tous les Québécois ne maltraitent pas leur langue.

Pause cigarette illégale

À chaque pause, les fumeurs se regroupent autour de l'entrée de l'école pour griller des cigarettes, sous un panneau avertissant en vain «Interdit de fumer sur le terrain de l'école».

L'art de réussir

«Je facilite énormément la réussite, dit l'enseignante d'histoire de l'art aux élèves qu'elle tente de recruter dans son cours. L'examen final est très facile pour ceux qui ont suivi le cours. Ceux qui échouent, c'est de leur faute.» La prof sait qu'elle s'adresse à un public réfractaire. «Vous vous dites que l'histoire ça fait peur, que les arts c'est pour les autres, les riches, ceux qui vont à l'université, dit-elle. Je vais vous prouver le contraire.»

«Crounche, crounche, crounche»

Juste derrière mes oreilles, un gars grignote un paquet de nouilles ramen sèches. Un total de 370 calories englouties à son pupitre. Prix: à peine 25 cents au magasin à un dollar. Un autre jour, une fille se présente en classe avec... une poutine et deux hot-dogs bien odorants, achetés au snack-bar en face de l'école.

Les choix santé sont limités: le centre n'a pas de service de cafétéria. Seuls deux micro-ondes sont à la disposition des élèves qui apportent un lunch. Restent les machines distributrices, qui contiennent des barres tendres et des chips. Le virage santé annoncé par le gouvernement Charest a-t-il oublié les écoles pour adultes?

Seule exception: à la pause de 10 h 20, le café étudiant ouvre ses portes. «Un ordre de toasts, c'est un dollar», me dit l'élève (une femme d'environ 40 ans) qui tient la caisse. Les prix sont raisonnables: on a un petit café pour 75 cents, un bagel pour 1,25$. Des patties jamaïcains (chaussons à la viande) sont aussi réchauffés sur place et servis avec amour.

Quatre ordis pour 500 élèves

Assis au fond de ma classe, un jeune homme asiatique clavarde avec une fille qu'on voit apparaître (vive les webcams!) sur l'écran de son ordinateur portable dernier cri. Pendant ce temps, trône sur le bureau du prof un vieil ordi beige, si gros qu'on dirait un coffre-fort. Les autres élèves n'ont pas d'ordi en classe. Dans l'école, il y a bien une salle d'informatique, mais il est interdit d'y aller si on ne suit pas de cours d'informatique. «Vous pouvez vous servir des quatre ordinateurs qui sont dans la cafétéria», dit la conseillère en orientation. Quatre ordinateurs pour... 500 élèves.

Étudier le ventre vide

«Par les temps qui courent, beaucoup de gens cherchent des banques alimentaires, a dit sans état d'âme la conseillère en formation scolaire aux élèves réunis devant elle. Leurs coordonnées sont dans votre agenda.»