Une petite maison blanche au toit pentu se dresse au milieu d'un déferlement d'eau et de boue. Si vous avez franchi le cap de la trentaine, vous vous souvenez sûrement de cette image des inondations du Saguenay, au coeur de l'été 1996.

Flash-back. Dès le vendredi, le 19 juillet, une tempête s'abat sur l'est du Québec. Les éléments se déchaînent, c'est du jamais vu. «Un vrai déluge» titre La Presse du dimanche, en énumérant une litanie de calamités: inondations, glissements de terrain, éboulements, villages coupés du monde, flots furibonds qui emportent tout sur leur passage.

Chicoutimi est particulièrement dévasté. En plein centre-ville, le quartier du Bassin, en aval du barrage d'Abitibi-Price, est submergé. La rivière Chicoutimi sort de ses gonds. Plusieurs maisons partent à la dérive. L'église émerge du tourbillon. Et à ses côtés, la fameuse petite maison blanche.

Deux jours après le début de la tempête, La Presse publie les premières images, prises par des photographes locaux. Mais elle dépêche aussi ses propres troupes au Saguenay. Dimanche matin, le photographe Pierre Côté reçoit un de ces coups de fil qui vous collent l'adrénaline au plafond. «Tu pars en hélicoptère ce matin», lui annoncent ses patrons.

Du haut des airs, Pierre capte des images surréalistes: un boeuf qui se fraie un chemin à travers les flots, un pont emporté par la crue, une route effondrée. La petite maison blanche revient comme un leitmotiv dans ses images. Photographiée sous tous les angles, elle persiste à défier la nature enragée. Comme sur cette photo publiée en première page du journal du lundi, où elle semble minuscule, abandonnée à son sort, comme si elle était poussée vers le précipice.

Les photos de la petite-maison-blanche-qui-s'accroche-pour-ne-pas-partir-à-la-dérive font le tour de la planète. Une image tellement forte que le journal local Le Quotidien l'intégrera à son logo pendant une bonne dizaine d'années. «Encore aujourd'hui, la maison blanche est le symbole de la résistance, de la solidité face aux épreuves, de la fierté de se tenir debout dans l'adversité», dit François St-Gelais, directeur de l'information du journal.

La maison blanche a fini par être restaurée et transformée en musée. Son ancien quartier n'existe plus et elle s'élève maintenant seule au milieu d'un parc rocailleux. La rivière Chicoutimi suit toujours son cours. Et le barrage, qui est aujourd'hui mieux surveillé pour prévenir les débordements, selon François St-Gelais, n'a pas bougé lui non plus.

Mon collègue Pierre Côté, lui, a depuis fait face à ses propres tempêtes. La longue maladie de sa fille Marie-Pierre, au cours de laquelle il s'est accroché à l'espoir d'une guérison. Nous avons été voisins de bureau pendant quelque temps, à cette époque. Il y avait des hauts et des bas. Puis, surtout des bas. Je me sentais souvent très bête en lui demandant: «Ça va?» Parfois, il disait que oui, ça allait, avec un petit sourire triste. Nous savions tous les deux que ça n'allait pas du tout. Mais il fallait s'accrocher.

Puis, la nature s'est déchaînée à nouveau. Cette fois, c'est Pierre qui était frappé. Il a résisté comme il a pu. Mais contrairement à la petite maison blanche qu'il avait immortalisée sur ses photos, il a fini, lui, par être emporté...