Depuis l'été dernier, La Presse suit le parcours difficile de familles frappées par la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic. Les commémorations de ce week-end boucleront la pire année de leur vie. Le passage du temps n'est pas parvenu à adoucir le deuil d'un homme.

Lac-Mégantic: trois saisons en enfer

Amener Maxime à la chasse. Lui apprendre à pêcher à la mouche. Damien Dubois avait une liste d'activités auxquelles il voulait initier son fils.

Le père de famille de 57 ans n'était pas pressé de réaliser tout ce qu'il y avait sur cette liste. Maxime et lui avaient la vie devant eux. Surtout que son fils de 27 ans avait d'autres priorités. Il attendait son premier enfant avec son amour de jeunesse, Joannie.

La liste de Damien restera à jamais inachevée. Il y a un an, dans la nuit du 6 juillet, Maxime prenait un verre avec ses trois meilleurs chums au Musi-Café. Ils sont morts ensemble. Trois jours plus tard, Anaïs est née. Orpheline de père.

Damien le dit sans détour: sans sa petite-fille Anaïs, il n'aurait pas survécu à la dernière année.

«Tout ce que je veux, c'est que la petite reste en contact avec nous autres», lance-t-il assis sur une table à pique-nique de la plage de Baie-des-Sables, sur le bord du lac Mégantic où il aime bien venir taquiner le poisson.

Sa belle-fille Joannie est venue les visiter régulièrement avec le bébé au cours de la dernière année, mais Damien et sa femme sont conscients qu'elle finira par refaire sa vie.

Sombre hiver

Le père de famille a ruminé des idées noires l'hiver dernier. En arrêt de travail à la suite d'une opération à un genou dont il se remet difficilement, cet ouvrier d'usine a passé les derniers mois enfermé chez lui à regarder la télé.

«Je me lève avec l'idée de Maxime dans la tête, puis je me couche avec l'idée de Maxime dans la tête. Je pense à lui régulièrement», explique-t-il. Il n'a pas encore osé toucher à la chambre de son fils au sous-sol.

L'épreuve du deuil jumelée à son inactivité forcée ont ébranlé son couple. «Ç'a été un hiver qui a été plus difficile avec ma conjointe que d'autre chose. Elle était tannée de me voir ne rien faire», raconte Damien.

France - sa «poule», comme il l'appelle affectueusement - s'est fait un sang d'encre pour lui. «Damien, c'est difficile de savoir comment il va. Il ne parle pas beaucoup, confie-t-elle. Au début, je me disais: va-t-il passer à travers? Maintenant on dirait que ça se tasse, mais on a de la misère à communiquer.»

La mère de famille s'est mise à fréquenter un groupe de soutien composé d'autres parents qui ont perdu un enfant dans la tragédie. Damien refuse d'y aller ou même de consulter un psychologue. «Je ne me sens pas le besoin d'aller voir une dame qui va reculer jusqu'à mon enfance. Il y a 57 ans, je ne m'en souviens plus de ce que j'ai fait.»

Les commémorations du premier anniversaire de la tragédie lui font l'effet d'un couteau enfoncé dans une plaie encore vive. S'il y participe, c'est seulement pour ne pas déplaire à sa femme et à sa fille.

«Ça donne quoi d'y aller et de regarder le derrière de la tête de monsieur et madame les dignitaires? demande le quinquagénaire. Quand il y a eu la messe hommage une semaine ou deux après l'accident, on a eu de la misère à avoir de la place. On était assis derrière une colonne dans le fond de l'église.»

Sa femme participera aussi aux commémorations à contrecoeur. Elle a pensé à fuir Lac-Mégantic en fin de semaine, mais elle craignait, ce faisant, de donner l'impression de «renier» son fils.

La mère de famille lit ces jours-ci des livres sur le deuil et la communication avec les morts. «Il me semble que je le sens qu'il veille sur Joannie et la petite», lance-t-elle, émue.

Ressemblance frappante

Lorsque Damien et France parlent de leur petite-fille, un sourire franc illumine leur visage, mais un fond de tristesse traverse leur regard. «Autant la petite me fait du bien, autant je trouve cela difficile. Elle me fait tellement penser à Max. Chaque fois, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il ne la verra pas grandir», dit France.

La petite qui n'a pas encore 1 an fait déjà des pitreries pour divertir la galerie comme son père le faisait. «Ses simagrées. La manière dont elle agit. Elle a du père et du grand-père dans le nez», ajoute Damien d'un air fier. L'anniversaire de la mort de leur fils - le 6 juillet - va toujours coïncider avec la fête de leur petite-fille née le 9.

Au fil des ans, les moments de bonheur vécus avec l'enfant vont triompher du vide laissé par la disparition de Maxime, espèrent les grands-parents. Et lorsqu'Anaïs grandira, Damien pourrait bien ressortir une vieille liste sur laquelle il est question de pêche à la mouche.

IMAGE TIRÉE D'UNE VIDÉO DE MARTIN LEBLANC

France Dubois s'est fait un sang d'encre pour son mari au cours des derniers mois.