«Pas d'appels, pas de visites, rien.» Depuis qu'elle a mis son bungalow de Lac-Mégantic sur le marché, en janvier dernier, Suzanne Desroches attend.

Heureusement, la nouvelle retraitée âgée de 58 ans est en mesure de s'offrir le luxe du temps. Elle peut patienter un peu avant de se transformer en «snowbird» et passer ses hivers sous le chaud soleil du Texas ou de la Californie, comme elle en rêve depuis plusieurs années.

Ce n'est pas exactement le cas de Lise Létourneau, dont la maison, presque entièrement rénovée, est en vente depuis près de deux ans. Avec sa famille, elle a déjà déménagé ses pénates à Saint-Georges-de-Beauce, et elle attend avec impatience la conclusion d'une transaction. Entretenir une maison vide coûte cher.

«On est encore en location à Saint-Georges parce qu'on n'a pas réussi à vendre notre maison. C'est dur d'avoir deux hypothèques en même temps. Et je vous dirais qu'on a payé entre 25 000 $ et 30 000 $ dans le vide à Lac-Mégantic depuis qu'on est partis», raconte celle qui était fleuriste au centre-ville avant de plier bagage.

Au cours des derniers mois, les pancartes «À vendre» ont poussé comme des champignons dans la petite municipalité estrienne, de l'avis de plusieurs.

«Je n'ai jamais vu autant de maisons en vente à Lac-Mégantic», note Suzanne Desroches.

L'effet conjugué de la morosité de l'ensemble du marché immobilier au Québec et des conséquences du déraillement mortel survenu il y aura bientôt un an est tout simplement catastrophique, constate Nicolas Bouffard, courtier immobilier chez Sutton Québec.

«J'ai cinq condos et un immeuble sur le marché. Ça ne bouge pas. Quand l'affaire du train est arrivée (dans la nuit du 6 juillet 2013), les propriétaires de longue date ont mis en vente super vite», lance-t-il énergiquement à l'autre bout du fil.

«Le prix moyen d'une maison est d'environ 150 000 $ à Lac-Mégantic. J'ai regardé les premières ventes (depuis le déraillement), et ils ont tous vendu 15 000 $ ou 20 000 $ en dessous du prix du marché. Ça fait environ 10% de moins», ajoute M. Bouffard.

Son collègue James Martel, courtier immobilier agréé chez Royal LePage, fait le même constat: «Depuis les événements de Lac-Mégantic, il n'y a aucun appel. C'est vraiment, vraiment mort. On avait de l'activité avant, on n'en a plus».

La situation est moins dramatique aux yeux de Jocelyn Fortin, courtier immobilier chez Re/Max.

Selon les données qu'il a fournies à La Presse Canadienne, 18 propriétés (incluant résidences unifamiliales, copropriétés et terrains) ont été vendues entre le 1er janvier et le 16 juin 2014, comparativement à 22 pour la même période un an auparavant. Il a été impossible d'obtenir le nombre exact de maisons qui ont été mises sur le marché à Lac-Mégantic depuis le 6 juillet dernier.

«Je ne sens pas de vent de panique de la part des vendeurs. Mais l'offre est de beaucoup supérieure à l'an passé et le marché est au ralenti comme partout ailleurs, donc il y a accumulation», résume M. Fortin.

N'empêche, pour Nicolas Bouffard, il est clair que Lac-Mégantic devra retrouver de sa superbe pour donner un électrochoc au marché immobilier.

«Vas-tu t'acheter un condo de 300 000 $ dans une ville où il n'y a même pas de pont pour traverser et aller au dépanneur? Voyons donc! On va aller rester ailleurs», tonne-t-il, plaidant que le marché va reprendre du poil de la bête seulement lorsque la ville sera reconstruite.

Pour ne rien arranger, la ville d'environ 6000 âmes est un véritable champ de bataille en ce moment. Aux travaux de décontamination toujours en cours dans le centre-ville s'ajoutent ceux de réfection de la rue Laval, l'une des principales artères de la municipalité.

Selon l'appel d'offres du ministère québécois de l'Environnement, la phase de décontamination devrait s'achever «au plus tard le 12 décembre 2014». Il faudra ensuite passer à la prochaine étape, celle de la reconstruction.

Quant aux travaux de réfection de la rue Laval, ils devraient être totalement achevés d'ici la mi-juillet, signale Louis Longchamps, attaché de presse de la mairesse Colette Roy Laroche.

«Le moment est mal choisi pour vendre, c'est sûr. Il y a de gros camions remplis de terre, de gravelle, de tout ce que vous voulez, qui se succèdent les uns aux autres. C'est loin d'être l'idéal», souffle Rita Lapointe.

La dame âgée de 83 ans a mis son bungalow en vente à la mi-mars dans l'objectif de se rapprocher de ses enfants, qui habitent dans la région de Montréal. Elle dit espérer que la ville ne soit pas stigmatisée en raison de la tragédie ferroviaire qui a fait 47 victimes, en plus de défigurer le centre-ville.

«Ça ne devrait pas influencer les gens et les dissuader de venir s'installer ici. Il y a toujours eu des trains ici; c'était la première fois qu'une catastrophe comme celle-là se produisait», plaide-t-elle.