La phase de décontamination du sol n'a peut-être pas encore débuté officiellement à Lac-Mégantic mais des experts en la matière sont clairs: il ne faudra pas seulement se contenter d'excaver pour ensuite transporter ailleurs, par camions, la terre contaminée.

C'est du moins l'avis de Sébastien Sauvé et Marc J. Olivier, respectivement professeurs en chimie environnementale à l'Université de Montréal et de Sherbrooke, ainsi que d'Alfred Jaovich, enseignant au département des sciences de la Terre et de l'atmosphère de l'Université du Québec à Montréal.

D'après des données du 4 août du ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Faune (MDDEFP), 7,2 millions de litres de pétrole brut léger se sont déversés dans l'environnement à la suite du déraillement qui a fait 47 victimes à Lac-Mégantic.

Selon les trois spécialistes, le simple transport de la terre contaminée vers un autre endroit ne ferait que «déplacer le problème ailleurs» en plus de contaminer un autre site.

«Ce serait préférable de décontaminer sur place, affirme M. Jaovich. C'est beaucoup de matériaux à déplacer (en cas d'excavation). Il faut transporter le matériel et passer à travers des zones fortement urbanisées. On crée une autre forme de dégradation de l'environnement.»

Pour Marc Olivier, de l'Université de Sherbrooke, simplement transporter la terre contaminée ailleurs revient à jeter l'éponge.

«Ça risque d'être un problème parce qu'il faudra trouver une zone d'accueil pour ce qu'on veut enfouir, dit-il. Si certaines zones (de Lac-Mégantic) sont trop contaminées, peut-être que cette partie-là pourra être enfouie dans une cellule à sécurité maximum.»

Des coûts élevés sont également rattachés à la décontamination par excavation, souligne M. Richard.

«L'enfouissement d'un produit dangereux coûte quelques centaines de dollars la tonne, souligne le professeur de l'Université de Montréal. À un moment donné, il faut se demander s'il vaut mieux et payer un peu plus cher pour décontaminer de façon permanente et pas remplir un site d'enfouissement.»

Oxydation chimique

Interrogés par La Presse Canadienne, les experts ont dit croire que les autorités devront considérer d'autres méthodes de décontamination, une fois que le travail de caractérisation du site, actuellement effectué par l'entreprise Pomerleau, sera suffisamment avancé.

Certaines entreprises s'intéressent par ailleurs déjà aux contrats en lien avec la décontamination à Lac-Mégantic.

Services Enviro-Mart, une filiale de Minéraux Mart, établie à Sorel-Tracy, s'est inscrite au Registre des lobbyistes du Québec le 16 août afin de faire des représentations auprès des ministères concernés au gouvernement du Québec ainsi qu'à l'endroit des autorités de Lac-Mégantic.

L'entreprise affirme que Services Enviro-Mart est le dépositaire canadien exclusif d'un procédé nommé «Cool-Ox», breveté aux États-Unis par l'entreprise DeepEarth Technologies, qui permet de réhabiliter les sols grâce à l'injection de peroxyde d'hydrogène par des puits de forage.

«Les autres procédés (d'oxydation chimique) provoquent une chaleur importante qui peut provoquer une évaporation des composés organiques volatiles qui se trouvent dans le pétrole, explique le vice-président aux développement des affaires de Minéraux Mart, Marc Giroux. Ce n'est pas le cas avec notre procédé.»

M. Giroux estime également que la méthode proposée par son entreprise pourrait générer des économies s'il y a lieu de décontaminer le sol sous des bâtiments de Lac-Mégantic.

«Nous pouvons percer des trous de forage à travers la fondation, souligne-t-il. Donc, pas besoin de mettre l'immeuble sur des pieux pour ensuite excaver sous le bâtiment pour ensuite remblayer. Les économies peuvent être de plusieurs milliers de dollars par unité, lorsque c'est possible de le faire.»

Le vice-président au développement des affaires chez Minéraux Mart affirme que des tests de conformité ont été effectués en ce qui a trait à ce procédé. Il ajoute que plusieurs centaines de sites ont été décontaminés de la sorte aux États-Unis, avec succès.

Selon MM. Sauvé, Olivier et Jaovich, ce procédé est légitime, même s'il existe d'autres techniques de réhabilitation d'oxydation chimique.

C'est une pratique commune, souligne M. Jaovich, de l'UQAM. Il faut quand même s'assurer que la décontamination se traduise par une dégradation de la problématique environnementale. Parfois, quand on utilise des additifs, on complique la situation plutôt que l'inverse.

Sébastien Sauvé rappelle pour sa part qu'il faut manipuler avec soin certains produits utilisés lors de l'oxydation chimique.

«Par exemple, on a tendance à penser que le peroxyde c'est inoffensif parce qu'on peut en acheter à la pharmacie, affirme-t-il. Tout dépend de la concentration. S'il y avait un déversement majeur de peroxyde, ça serait problématique.»

Les experts consultés estiment cependant que les autorités doivent avoir une idée de l'ampleur des travaux à effectuer avant de choisir une ou des méthodes de décontamination.

Marc Olivier propose d'utiliser le pétrole récupéré des wagons à la suite du déraillement.

«On pourrait faire des tests pour s'assurer que tout fonctionne, explique le professeur de l'Université de Sherbrooke. Il faut être en mesure de démontrer la vitesse des méthodes. Si ça prend cinq ans, on va lâcher ça. Si c'est facile, ça crée du sens.»

Sans être l'unique solution, M. Sauvé croit que la méthode proposée par la filiale de Minéraux Mart pourrait être utilisée très rapidement pour empêcher la contamination des cours d'eau dans le secteur de Lac-Mégantic.

«Ça pourrait à tout le moins faire une barrière entre ce qui était le coeur du centre-ville pour détruire le contaminant qui passe à travers cette zone afin de limiter l'accumulation dans les cours d'eau», dit-il.

De son côté, le MDDEFP a dit être au courant de la méthode d'oxydation chimique, tout en demeurant prudent dans ses commentaires.

«On connaît ça, a dit le directeur adjoint, responsable du secteur industriel à la direction régionale de la Montérégie et de l'Estrie, Paul Benoît. Ça peut fonctionner dans certains cas, mais il faudra attendre la fin de la caractérisation pour savoir si c'est une technique qui pourrait être utilisée.»