Une boue verte et visqueuse à l'odeur fétide. Les techniciens en scène de crime en pellettent dans tous les sous-sols de maisons dévastées de Lac-Mégantic. À un point tel que le sergent Steven Montambeault est dégoûté à tout jamais de cette couleur, qui est pourtant celle de l'uniforme qu'il porte fièrement.

«Je suis marqué à vie par cette couleur. C'était ma couleur préférée, mais ça ne l'est plus», laisse tomber l'homme à la voix chevrotante.

Cette couleur, c'est celle de la matière qu'ils trouvent dans tous les sous-sols des maisons rasées. C'est là-dedans que sont retrouvés une partie des restes des victimes de la catastrophe. C'est le pétrole brut qui a donné cette couleur à tout ce que touchent les secouristes.

C'est une chose assez rare, mais le Sûreté du Québec a permis à quelques journalistes d'interviewer Steven Montambeault, sergent superviseur de la Section de l'identité judiciaire de la SQ pour les régions Estrie, Mauricie et Centre-du-Québec.

Le grand gaillard qui s'est présenté devant nous pratique un drôle de métier. Ratisser des scènes de crimes dans le but de comprendre ce qui s'est produit et trouver des indices pour incriminer le coupable d'un crime. Ce qui implique une promiscuité avec la mort. Surtout lorsqu'elle est violente. Ils verront parfois sur des scènes de meurtres des cadavres décomposés, démembrés, ceux de jeunes enfants.

Généralement, on ne les entend que lors de leurs témoignages, essentiels, lors de procès criminels. Ils semblent froids et détachés devant ces horreurs.

Mais le sergent Montambeault, qui a quitté la scène de crime quelques minutes avant de rencontrer les médias, a démontré que plusieurs années à côtoyer l'horreur ne l'ont pas pour autant transformé en robot insensible.

Vêtu d'un simple t-shirt noir aux couleurs de la SQ, «une première, à cause de la chaleur», il a fondu en larmes et pris une pause dès les premières phrases de son allocution.

«J'ai été le deuxième à être appelé sur place, à 5h15 samedi le 6 juillet. Mon responsable me raconte qu'un train a déraillé, que la ville est en feu. Sur le coup, tu te dis: il me niaise», raconte le policier.

Mais c'était bien réel.

«Quand tu réalises l'ampleur, tu te dis que tu en as pour plusieurs jours sur cette scène. Au départ, c'était le chaos. On ne savait pas comment débuter notre travail. Ça brûlait encore. Nous avons commencé par faire des photos aériennes, trouver des cartes de la ville», poursuit-il.

Tout au long des 15 minutes qu'ont duré la rencontre, sa voix a failli flancher. Il a parlé avec une vive émotion des gens de Lac-Mégantic, très solidaires, et du travail acharné de tous ceux qui oeuvrent sur la plus grande scène de crime de l'histoire du Québec. Ses collègues des autres districts de la SQ, des polices de Montréal et Québec. Les pompiers, de partout. Les opérateurs des excavatrices sur le site, «des artistes qui déplacent avec une très grande précision tout ce qu'on leur demande», les scientifiques.

«Personne n'a lâché. Je leur lève mon chapeau, personne n'a dit moi je m'en vais. Tout le monde travaille ensemble. (...) Ça ne sera pas fini tant que ça ne sera pas fini. On fouillera jusqu'à ce qu'on ait retrouvé tout le monde», jure-t-il.

Il a parlé des conditions de travail. À genoux dans cette boue verte, dans des habits stériles qui ne respirent pas, parfois avec des bombonnes d'air sur le dos et des masques, de lourdes bottes chaudes. «On nous a permis pour la première fois d'enlever nos chemises et de rester en t-shirt. Il faut prendre des pauses, boire. Je n'avais jamais vu autant d'hommes et de femmes porter de chandails noirs marbrés de blanc tant ils ont eu chaud. Ce benzène, cette odeur de gaz, ça nous écoeure», a-t-il ajouté. 

Cette scène gigantesque, complexe, dans laquelle il faut trouver des dizaines de victimes, le marquera à jamais. 

Puis il est retourné au travail. Lui et ses collègues auront assurément besoin de soutien pour arriver au bout de cette mission titanesque, et passer à autre chose ensuite. Sans jamais oublier Lac-Mégantic.