Quelqu'un qui combat une récidive de cancer au cerveau s'attend à disparaître avant ses amis pétants de santé. C'est dans l'ordre des choses. Mais parfois, un train rempli de pétrole fonce dans l'ordre des choses.

«Dans ma tête, c'était clair que c'était moi la prochaine. Mais là, Stéphane, Karine, David... Tout le monde qui part jeune comme ça. Ça me bouleverse. Ce n'est pas dans le cours naturel des choses», raconte Dominik Leblanc, résidante de Lac-Mégantic.

Cette jolie blonde de 39 ans, enseignante à la polyvalente Montignac, mariée et mère d'un beau grand adolescent, a appris l'année dernière qu'elle avait un cancer du cerveau. Elle a été soignée, mais en avril, le mal est revenu. Les traitements ont recommencé, et les médecins s'attendaient à la réopérer cette semaine.

«Mais j'ai même plus peur. Je n'en ai pas de bobo. Ce n'est rien. C'est trop grave ce qui arrive dans notre région», lance-t-elle avec vigueur.

Une fête mémorable

Dominik aime les autres, et les autres le lui rendent bien. Elle est bien entourée.

Le samedi 29 juin, six jours avant la tragédie, elle est arrivée au Musi-Café, croyant y aller pour un simple souper. Surprise.

«Quand je suis arrivée, tous mes amis, toute ma famille était là», se souvient-elle avec émotion. Son conjoint, François Jacques, lui avait organisé une fête d'anniversaire pour ses 40 ans, qu'elle aura le 17 août prochain. «Ils ont dit on va la fêter avant, étant donné qu'on ne savait pas comment j'allais être après l'opération», explique Dominik.

L'endroit, qui pouvait accueillir 80 personnes, était bondé. Le thème était la fiesta mexicaine. Ce fut une soirée festive, mémorable, toute en joie et en rires.

«Les gens me serraient et je sentais vraiment la solidarité. Je sentais que pour eux, c'était peut-être la dernière fois qu'ils me serraient. On est tous comme ça, quand quelqu'un est malade, on veut lui donner de l'énergie...», raconte Dominik.

Parmi ces gens qui la réconfortaient, il y avait Stéphane et Karine. Ce couple d'amis très chers allait se retrouver de nouveau au Musi-Café le vendredi suivant, soit le 5 juillet. Cette fois, c'est l'anniversaire de Stéphane qu'on fêtait. Mais vers 1h30, le train fantôme est arrivé dans un grand fracas. Stéphane, Karine et bien d'autres sont morts piégés au Musi-Café.

Rejoindre ses amis

Dominik et sa grande amie, Natalie Lafrance, devaient aller rejoindre Stéphane et les autres au Musi-Café, ce soir-là. L'anniversaire de Natalie tombe le 5 juillet, la même date que celui de Stéphane. «Stéphane et moi, on fêtait nos fêtes ensemble depuis trois ans», explique Natalie.

Mais cette année, un concours de circonstances a fait en sorte que Natalie a fêté son anniversaire en bateau, avec Dominik et d'autres, et que la petite bande a soupé dans la petite ville de Piopolis.

Au retour, Dominik et Natalie prévoyaient aller finir la soirée au Musi-Café. Mais avant, le petit groupe s'est arrêté chez Dominik, qui demeure sur le bord du lac Mégantic. Dominik devait prendre des comprimés de chimiothérapie. La jeune femme en a profité pour faire ce qu'elle appelle en rigolant «des cafés de cow-boy» à ses amis.

Le temps passant, tout le monde a évalué qu'il était rendu trop tard pour aller rejoindre les autres au Musi-Café.

La providence était de leur côté.

Il est arrivé ce que l'on sait. D'où elles étaient, Dominik et Natalie ont vu le feu, les explosions, sans savoir vraiment ce qui brûlait.

À 1 h 40, René, un de leurs amis qui était au Musi-Café, a appelé Natalie. Il a dit qu'il était sorti pour fumer une cigarette, et qu'il courait maintenant le feu aux fesses. Il cherchait à s'orienter dans le chaos. «Tout saute, mon auto vient de sauter devant moi, le centre-ville brûle», criait-il en panique.

«Les autres n'ont pas eu le temps de sortir», a-t-il ajouté, plus tard.

«Ce soir-là, la cigarette et le cancer ont sauvé des vies», ironise tristement Dominik.

Forts

Les gens ont perdu des êtres chers, mais plusieurs ont aussi perdu leurs biens, leur commerce ou leur emploi. Le mari de Dominik est entrepreneur de pompes funèbres. Une partie du Centre funéraire Jacques et Fils a été pulvérisée cette nuit-là. Il y aura bien des âmes à guérir et bien des choses à rebâtir. Mais pour l'heure, les gens sont encore sous le choc.

«Toutes ces familles touchées. C'est inimaginable de voir cette tristesse», se désole Dominik.

Dans les grands malheurs, il arrive aussi que des petits bonheurs réussissent à faire leur chemin. Dominik n'a pas été réopérée comme prévu cette semaine. «C'est une bonne nouvelle. Fiou», glisse-t-elle.

Dans cette grande catastrophe qui secoue Lac-Mégantic, il faut garder espoir. «On va être forts. On va se tenir. Les Méganticois ont toujours été d'une solidarité incroyable. Je suis fière d'être Méganticoise», conclut Dominik avec conviction.