Le train fantôme qui a provoqué une hécatombe à Lac-Mégantic tirait des wagons-citernes reconnus depuis 20 ans comme étant non sécuritaires, mais autorisés par le gouvernement fédéral.

La Presse a expédié à Denis Allard, président du Fonds mondial du patrimoine ferroviaire, des photos des wagons-citernes qui étaient rattachés au train. Il a tout de suite reconnu le modèle DOT-111.

«Ce n'est bon à rien ça, a-t-il lancé. Le principal critère qui fait qu'un wagon est sécuritaire, c'est une paroi d'acier d'un pouce. Si tu n'as pas cela, ça ne vaut rien.»

«On utilise ce modèle pour des raisons pécuniaires, a-t-il ajouté. Si c'était moi le ministre des Transports, les wagons qui n'ont pas une paroi d'un pouce d'épais, j'enverrais tout ça à la ferraille. Je n'irais même pas donner cela aux pays pauvres, j'aurais des remords de conscience.»

Les wagons-citernes n'appartenaient pas à la société Montreal, Maine&Atlantic Railway. L'entreprise ne faisait que les tirer.

En entrevue téléphonique depuis l'Illinois, le propriétaire de la société mère de la MM&A, Ed Burkhardt, reconnaît que l'épaisseur des citernes ferroviaires a fait l'objet d'importantes discussions dans l'industrie au cours des dernières années. «Mais je ne peux pas imaginer un wagon-citerne qui serait assez solide pour soutenir ce qui s'est produit ici», a nuancé M. Burkhardt, qui dirige la société Rail World.

Un risque signalé en 1991

Selon le National Transportation Safety Board des États-Unis, les wagons DOT-111 sont «inadéquats pour résister au choc d'un déraillement». Des rapports mettaient déjà en garde contre ce risque en 1991.

Depuis 2011, Ottawa exige que les transporteurs choisissent des wagons-citernes plus épais quand ils renouvellent leur flotte. Mais il permet néanmoins aux vieux modèles, dont la tête et l'enveloppe sont trop minces, selon les autorités, de rester en service.

Lors de sa visite à Lac-Mégantic, le premier ministre du Canada Stephen Harper n'a pas voulu commenter la responsabilité de la MM&A ou les sanctions qui pourraient être exigées.

«J'ai entendu des choses qui me préoccupent beaucoup, a-t-il néanmoins avancé. C'est difficile d'imaginer pourquoi on peut avoir un tel accident, comme ça. Nous avons des règles pour prévenir de telles choses. [...] Les enquêtes vont retenir certains coupables, certains responsables, je pense. Et en même temps, elles vont donner au gouvernement des recommandations pour des actions à venir.»

La mairesse de Lac-Mégantic, Colette Roy-Laroche, a par ailleurs révélé avoir demandé «dernièrement» à la société MM&A de mieux entretenir son chemin de fer, qui traverse la voie publique à trois reprises dans sa municipalité, pour «assurer la sécurité et éviter les déraillements».

Ed Burkhardt dit avoir été «surpris» par les déclarations de la mairesse. Il dit avoir échangé sur le sujet avec le représentant d'une «agence gouvernementale», et que personne n'était au courant d'une telle demande de la municipalité.

«Cela ne veut pas dire qu'aucune requête ne nous a été adressée, mais nous n'avons pas pu retracer une demande. Si la mairesse s'est adressée à quelqu'un chez nous, nous aimerions en savoir davantage», a-t-il indiqué.

Le député néo-démocrate de Compton-Stanstead, Jean Rousseau, a dit avoir été informé de problèmes d'entretien potentiels. Depuis deux ans, une «demi-douzaine» de citoyens lui ont fait part de leurs préoccupations.

«Les élus municipaux, les agriculteurs et différentes personnes qui sont près de ces voies-là communiquent souvent avec nous, surtout au sujet de la qualité de l'entretien, les services d'entretien, autant de la voie que des locomotives qui y circulent, a-t-il indiqué. Donc c'est un questionnement qui est là depuis longtemps.»