«Le début du féminisme a mis à mal l'amour-propre de ces hommes. Leur solution: acheter des services sexuels. Plusieurs d'entre eux sont des perdants, ici, mais ils se sentent tout-puissants d'être entourés de jeunes femmes à l'étranger.»

La militante canadienne Rosalind Prober s'enflamme lorsqu'elle se met à parler de tourisme sexuel et des hommes qui s'y adonnent. Coprésidente de l'organisme canadien Au-delà des frontières, qui a aujourd'hui des antennes dans tout le pays, elle incarne en quelque sorte le combat contre l'exploitation sexuelle des enfants. Rosalind Prober avait entrepris cette lutte, scandalisée par l'impunité avec laquelle les délinquants sexuels pouvaient abuser des enfants à l'étranger.

La loi C27, ou l'amendement Prober, est d'ailleurs le fruit de sa croisade. Depuis 1997, le Canada s'est doté de lois extraterritoriales qui permettent aux autorités de juger et de condamner tout Canadien qui a obtenu à l'étranger des services sexuels d'un enfant âgé de 16 ans et moins. Mais les résultats de cette nouvelle loi sont modestes. Seulement trois Canadiens ont été déclarés coupables d'avoir enfreint la loi canadienne sur le tourisme sexuel. Le premier, Donald Bakker, a été condamné en 2005 à 10 ans de prison après avoir plaidé coupable à des accusations de délits sexuels sur des fillettes cambodgiennes de 7 à 12 ans. Entre 1993 et 2007, environ 150 Canadiens ont depuis été condamnés pour des agressions sur des enfants ailleurs dans le monde, révèle une étude britanno-colombienne.

Mais les touristes sexuels ont la vie facile, déplore la militante, qui s'est vu décerner l'Ordre du Canada en 2010. S'ils sont surveillés au Canada, l'étau se relâche sur les délinquants sexuels dès qu'ils montent dans un avion. «Un registre existe au pays, mais rien n'indique sur un passeport qu'on est un délinquant sexuel», déplore Mme Prober.

La justice canadienne, enchaîne Mme Prober, a conservé un modèle judiciaire archaïque pour affronter le problème, alors que les prédateurs sexuels se servent abondamment des nouvelles technologies. «L'internet donne de l'ampleur au phénomène et tisse des liens entre les hommes. On peut même réserver une fille en Thaïlande avant de débarquer là-bas.»

PROFIL DU TOURISTE SEXUEL

Au fil des années, Rosalind Prober a appris à connaître le profil des touristes sexuels, à étudier leur comportement. Comme les autres intervenants interrogés aux fins de cette enquête, elle classe ces prédateurs en deux catégories.

Il y a les pédophiles, les plus dangereux, qui sévissent surtout en Asie du Sud. «Ils se font embaucher comme enseignant ou intervenant dans un centre d'accueil, ont de 40 à 50 ans, sont misogynes et, souvent, sont mariés et pères de famille», énumère Rosalind Prober. Les autres sont les prédateurs occasionnels ou situationnels, qui passent à l'acte simplement parce que la situation se présente. «Ils adoptent des comportements qu'ils n'auraient jamais à la maison. C'est la quête de la gratification sexuelle et ça n'arrête jamais. Ça va être deux filles en même temps un soir, trois le lendemain, et les filles seront de plus en plus jeunes», raconte Mme Prober.

Selon elle, l'homme qui profite de la prostitution ne voit pas les rouages de cette industrie organisée - les filles, les proxénètes, les chauffeurs de taxi, les hôteliers, etc. Et encore moins la misère, la profonde détresse humaine. «Beaucoup de filles qui se prostituent auprès des touristes ont été agressées à la maison et le font pour aider leurs familles. C'est sans compter l'influence de la religion catholique, qui exerce de la pression sur les femmes pour qu'elles aient des enfants à répétition», explique Mme Prober.