En octobre 2008, La Presse a écrit, citant des sources policières, que Salvatore Cazzetta était l'un des rares criminels québécois encore en liberté, sinon le seul, qui avait assez de charisme, de contacts et surtout, la connaissance du milieu, pour combler le vide laissé par l'extradition de Vito Rizzuto aux États-Unis.

Ces mots ont peut-être encore plus de sens aujourd'hui, cinq ans et demi plus tard, alors que le parrain est mort et que l'alliance entre les groupes du crime organisé montréalais tient le coup malgré la disparition de leur «arbitre».

«À Montréal et ailleurs au Québec, Cazzetta contrôle actuellement tout ce que la mafia ne contrôle pas», nous a confié une source policière bien placée récemment.

Autant dans les rangs policiers que dans le milieu, on dit que l'ancien chef des Rock Machine aujourd'hui âgé de 59 ans est actuellement le numéro un des Hells Angels au Québec. Avant la vaste rafle antimotards d'avril 2009, les derniers membres à recevoir leurs couleurs ont dû obtenir son approbation. Depuis sa libération dans les superprocès SharQc en mai 2011, Cazzetta serait celui qui veille à ce que sa centaine de «frères» toujours détenus continuent de recevoir leur dû, nous a-t-on dit.

Sa toile

Cazzetta, qui a tissé des liens avec des membres importants de la mafia, des groupes organisés traditionnels québécois, du crime organisé irlandais et des gangs de rue au cours de sa longue carrière criminelle, aurait visité d'influents chefs de groupe à la suite de la mort du parrain, en les avisant d'enterrer les vieilles chicanes et de travailler main dans la main, ont confié des sources à La Presse.

Il arbitrerait également les conflits. Celui opposant une famille italienne de LaSalle et les frères Jamie et Cody Laramée, liés au crime organisé irlandais, aurait été sur sa liste de choses à régler. Mais son intervention est vraisemblablement arrivée trop tard: les deux frères Laramée ont été tués à bout portant dans un bar en juillet dernier et la police recherche toujours les coupables. Cela n'aurait pas empêché Cazzetta de se présenter aux funérailles des frères Laramée et de faire l'accolade au chef du défunt gang de l'Ouest, Gerald Matticks.

Les funérailles de membres importants du crime organisé semblent faire partie des incontournables sorties du Hells Angels. Notre photographe l'a capté, flanqué de son frère, Giovanni, arrivant au complexe funéraire Loreto, où le corps du parrain Vito Rizzuto était exposé en décembre dernier.

«Il ne faut pas perdre de vue qu'il est italien», nous a dit un informateur, au sujet des liens étroits qui unissent Cazzetta et des membres influents de la mafia depuis plus de 20 ans.

Profondes racines

Originaire du quartier Saint-Henri, Cazzetta faisait déjà partie d'un gang à l'âge de 16 ans avant de commencer à frayer dans le monde des motards. «Une criminalité précoce, persistante, bien structurée, fort bien planifiée depuis de nombreuses années, extensive, importante et représentant un mode de vie», ont écrit les commissaires aux libérations conditionnelles à son sujet au fil des ans.

Après avoir côtoyé les Outlaws, il est devenu membre des SS de Pointe-aux-Trembles dont faisait partie Maurice Boucher, avec lequel il n'a jamais eu d'atomes crochus. Alors que Boucher a choisi le camp des Hells Angels à la fin des années 80, Cazzetta et son frère ont fondé leur propre groupe, les Rock Machine. Ceux-ci contrôlaient le trafic de stupéfiants dans le territoire le plus payant du centre-ville de Montréal et avaient des contacts directs avec les pays producteurs de cocaïne. Cazzetta et ses Rock Machine bénéficiaient également de l'alliance et de la protection d'un important lieutenant de la mafia montréalaise, Paolo Gervasi. Les choses allaient trop bien pour les Rock Machine au goût de Maurice Boucher et des Hells Angels, qui leur ont déclaré la guerre en 1994.

À la même époque, Cazzetta a été accusé aux États-Unis pour des importations de centaines de kilos de cocaïne. Il s'est caché dans une ferme de l'Ontario avant d'être arrêté un an plus tard. Après une longue lutte devant les tribunaux pour éviter l'extradition, il a finalement été envoyé aux États-Unis en 1998 où il a été condamné à 12 ans d'emprisonnement. Mais il est revenu purger la fin de sa peine au Canada et a été libéré en 2004, alors que la guerre des motards était terminée. Cazzetta a fait comme d'autres anciens Rock Machine et a rejoint les Hells Angels, section de Montréal, en 2005.

Rapidement, son influence a grandi au sein de sa nouvelle famille. En 2009, il a été arrêté dans le cadre d'une opération baptisée Machine visant un réseau de contrebandiers de cigarettes établis notamment à Kahnawake. La cause est toujours devant les tribunaux. Il a également été arrêté et accusé de trafic de stupéfiants et gang-stérisme dans le cadre de l'opération SharQc la même année mais a été libéré avec 30 autres accusés en mai 2011 en raison des délais déraisonnables. Il est en liberté sous conditions depuis.

Durant les années 2000, Cazzetta a également été partenaire dans une entreprise qui distribuait la boisson énergisante Cintron. Il s'est marié en août dernier.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

En décembre dernier, Salvatore Cazzetta et son frère Giovanni Cazzetta (à l'extrême droite, avec un manteau à capuchon de fourrure) arrivent au complexe funéraire Loreto de Saint-Léonard pour assister aux funérailles du parrain.

Des alliés et des lieutenants

Mario Brouillette

> 41 ans

> Impliqué dans la création d'une section des Hells Angels en République dominicaine au milieu des années 2000

> Détenu à la prison Bordeaux, il se fait le protecteur de son voisin de cellule, le patriarche de la mafia italienne, Nicolo Rizzuto

> Libéré d'office, il se trouve présentement en maison de transition

> Mario Brouillette est considéré par la police comme un candidat potentiel au poste de chef des Hells au Québec.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Mario Brouillette

Gregory Woolley

> 42 ans

> Ancien membre des Rockers, défunt club-école des Hells Angels

> Condamné à 13 ans de prison pour complot de meurtre, trafic de stupéfiants et gangstérisme à la suite de l'opération Printemps 2001

> Dirigerait maintenant son propre groupe d'anciens membres des Syndicates et de gangs de rue d'allégeances rouge et bleue

> S'est rallié à Vito Rizzuto lors du retour du parrain à Montréal à l'automne 2012

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Gregory Woolley

Paul Porter



> 50 ans

> Chef des Nomads de l'Ontario

> Cofondateur des Rock Machine avec les frères Cazzetta en 1989

> Est présent lorsque les Hells Angels et les Rock Machine concluent une trêve dans un restaurant de Montréal en octobre 2000

> Rejoint lui aussi les Hells Angels après la guerre des motards

> A annoncé qu'il quitterait les Hells Angels mais seulement lorsque ces derniers auront regarni leurs rangs

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Paul Porter

Sergio Piccirilli

> 54 ans

> Ami d'enfance de Salvatore Cazzetta

> Au coeur d'un conflit qui avait failli dégénérer en guerre ouverte entre les clans Rizzuto et D'Amico de Granby, au milieu des années 2000

> Serait membre d'un groupe de motards, les Devil's Ghosts, que la police considère comme des sympathisants des Hells Angels

> Accusé de trafic de stupéfiants et de possession d'armes à la suite de l'opération Cléopâtre en 2006

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Sergio Piccirilli