Lors d'un procès aux assises, il y a toujours une partie des procédures qui se déroule en l'absence du jury. Il peut s'agir de discussions visant l'admissibilité d'une preuve, d'objections de l'une des parties, de points de droit, de remarques particulières... Ce qui se passe «en cuisine» est frappé d'une ordonnance de non-publication jusqu'à ce que le jury soit isolé. Puisque c'est maintenant chose faite, voici un bref survol de ce qui s'est passé sans le jury au procès de Luka Rocco Magnotta.

Basic Instinct et pic à glace

La preuve au procès Magnotta était riche et abondante, et peu d'éléments n'ont pas été présentés en preuve. Néanmoins, le juge Guy Cournoyer a refusé que le procureur de la Couronne, Louis Bouthillier, fasse visionner au jury le film Basic Instinct.

Me Bouthilllier aurait voulu démontrer que Magnotta s'était inspiré du film mettant en vedette son idole, Sharon Stone, quand il a tué Lin Jun. Il avait notamment peint le tournevis avec lequel il a poignardé Lin Jun de la même couleur que le pic à glace qui apparaît dans le film, soit argent. On sait aussi qu'il a titré la vidéo du démembrement de sa victime: One lunatic, one ice-pik...

Me Bouthillier: «Le pic à glace est un personnage dans le film. Je veux faire jouer tout le film. Je veux frapper un coup de circuit...»

Le juge: «C'est un Grand Chelem!»

Me Bouthillier: «Non, ce ne sont pas toutes les bases qui sont occupées.»

Quoi qu'il en soit, le juge et les parties ont écouté le début et la fin du film en salle d'audience. Le juge a trouvé que le film avait mal vieilli. Son refus était basé sur le fait que la valeur probante était mince comparativement au préjudice que ce visionnement aurait pu causer.

«Numéro un: le look»

De la même manière, Me Bouthillier n'a pas pu présenter une entrevue filmée que Magnotta avait faite en 2008, en Ontario, en vue d'obtenir un rôle dans une téléréalité ayant trait à la chirurgie esthétique.

L'accusé y étalait ses pensées et préoccupations au sujet de son apparence, et parlait des interventions de chirurgie esthétique qu'il avait eues et de celles qu'il voulait avoir. «Mon nom est Luka Magnotta, j'ai 25 ans... Je fais beaucoup de modeling, je suis assez à l'aise devant la caméra donc... [petit rire]... Je fais des films pour adultes... Je voyage, à Toronto, Montréal, L.A...

«J'ai eu une transplantation de cheveux. [Il explique la procédure en détail.] J'ai fait faire mes yeux aussi. J'avais des cernes, j'avais toujours l'air fatigué. J'ai fait faire mon nez, et je prévois me faire transplanter des implants musculaires dans le derrière et les bras.»

«Quelle importante accordes-tu à ton look?», demande l'animatrice.

Magnotta: «Le plus important, numéro un: le look. Deux: l'intelligence, et je ne sais pas pour le reste. Tout ce qui m'importe, c'est le numéro un...»

La pilule 

En novembre, Me Bouthillier voulait questionner la Dre Renée Roy, psychiatre traitante de Magnotta, sur le fait que son patient se serait fait prendre à jeter ses médicaments le 11 septembre 2014, à la prison de Rivière-des-Prairies. L'avocat de la défense, Me Luc Leclair, s'y opposait et demandait qu'on lui remette la capsule supposément jetée dans les toilettes. Le juge n'était pas d'accord non plus pour que l'information soit dévoilée au jury. Cela a donné lieu à un échange vigoureux entre Me Bouthillier, le juge et Me Leclair. En voici des extraits:

Me Leclair: «C'est basé sur une allégation de photo... Ça date du 11 septembre, il [Me Bouthillier] a décidé de m'envoyer ça hier. J'ai une photo, une très mauvaise photo. Ils ont pris une photo, où est la capsule? J'ai le droit d'avoir la capsule, pas une photo. La meilleure preuve, c'est la capsule! Je veux la capsule!»

Le juge à Me Bouthillier: «Vous ne pouvez pas faire ça, à moins d'avoir de multiples incidents. Vous devez être prudent.»

Me Bouthillier: «Pourquoi j'aurais besoin de multiples incidents?»

Le juge: «Vous ne pouvez pas inférer qu'il y a eu de multiples incidents...»

Me Bouthillier: «C'est sur la crédibilité... Ils vont tous prétendre que cet homme est très malade. Pourquoi on ne peut pas mettre devant le jury qu'il jette ses médicaments?»

Le juge: «Vous avez avisé que vous étiez pour aborder cette question, hier soir. [...] Il [Me Leclair] a raison, il a droit à plus d'information sur cet aspect... C'est très difficile de discuter de quelque chose qui a été dévoilé la veille...»

Me Bouthillier: «Cela n'a pas été dévoilé hier, ç'a été dévoilé il y a deux mois.»

Magnotta ne va pas bien

Le 5 novembre, 9h30 le matin. C'est le contre-interrogatoire du psychiatre Thomas Barth. Celui-ci doit repartir pour Berlin le soir même. Me Leclair annonce qu'il ne sait pas si l'audience pourra avoir lieu, car son client ne va pas bien. S'il pouvait voir sa psychiatre, la Dre Roy, cela pourrait peut-être aider. La situation est inhabituelle. Le juge demande à un représentant des autorités carcérales de permettre l'accès de la Dre Roy. 

Mais il y aura un pépin. La Dre Roy se voit refuser l'accès, ce qui a pour effet de retarder la reprise de l'audience.

Le juge: «Depuis le début du procès, j'ai un respect jaloux des autorités correctionnelles, et je regrette maintenant de ne pas avoir rendu l'ordonnance pour que ce soit plus rapide. On agit tous avec beaucoup de prudence. Le résultat est que 14 citoyens [les jurés] attendent depuis 9h30, et vont attendre encore jusqu'à 1h30 probablement. Peut-être qu'on aurait pu résoudre la situation...»

La Dre Roy a finalement pu voir Magnotta et le contre-interrogatoire a pu se conclure.

Le malaise de Magnotta avait trait à un incident qui s'était produit en prison.

Dans le box

Magnotta a passé une grande partie du procès prostré dans le box des accusés, penché vers l'avant. Parfois, il était assis droit, mais ne semblait pas suivre vraiment ce qui se passait. Il lui est arrivé occasionnellement d'être plus attentif. Notamment, il s'est montré très intéressé quand des parties du film Basic Instinct ont été projetées en l'absence du jury.

Le Dr Chamberland trouvait pour sa part que Magnotta changeait d'attitude quand le jury était là. Me Bouthillier a voulu l'interroger à ce sujet, mais le juge Cournoyer ne l'a pas permis.

Semoncé pour ses mimiques

Le 5 novembre, le Dr Gilles Chamberland, psychiatre retenu par la Couronne, assiste au témoignage du psychiatre allemand Thomas Barth. Tout à coup, le juge demande au jury de sortir. Une fois que c'est fait, le juge semonce vertement le Dr Chamberland, lui reprochant de faire des mimiques pendant que l'autre psychiatre témoigne, ajoutant que ce n'est pas professionnel et pas acceptable.

Cette intervention a surpris le Dr Chamberland et le public.

Le psychiatre n'est plus revenu dans la salle d'audience par la suite. Il a préféré assister aux témoignages des autres psychiatres dans la salle de débordement. Il n'est revenu dans la salle d'audience qu'au moment de son propre témoignage.