Élevé par une mère germaphobe qui n'envoyait pas ses enfants à l'école, un père alcoolique et malade et une grand-mère maternelle autoritaire, Luka Rocco Magnotta a vécu une enfance isolée et n'avait pas d'amis. Plus tard, la maladie mentale l'a frappé, comme elle avait frappé son père avant lui.

C'est ce qui se dégage du témoignage que le père de M. Magnotta a rendu hier, au procès de son fils pour le meurtre et le démembrement de Lin Jun, survenus en mai 2012.

L'homme de 50 ans, qui souffre de schizophrénie paranoïde depuis une vingtaine d'années, est venu d'Ontario pour témoigner. Un ordre de la Cour nous interdit de publier son nom ou sa photo. L'homme de bonne stature, qui marche avec une canne, a le débit lent typique de ceux qui prennent beaucoup de médicaments. Il avait d'ailleurs avec lui une grosse boîte à lunch contenant ses médicaments. Il prend 29 comprimés par jour, notamment des antipsychotiques et des antidépresseurs.

L'homme a été interrogé d'abord par Me Luc Leclair, qui représente son fils, puis par Me Louis Bouthillier, procureur de la Couronne. Il a répondu sans fard, mais son récit était parfois un peu confus. Assis dans le box des accusés, son fils ne l'a pas regardé. Il avait la tête penchée vers le sol pendant toute la durée du témoignage de son père.

L'homme a d'abord parlé de son propre parcours. Enfant chétif et malade, il manquait souvent l'école et se faisait battre par ses camarades. À l'école secondaire, il a fait la connaissance d'Anna Yourkin. Elle avait 16 ans et lui 17, quand ils ont eu leur premier enfant. Ils l'ont appelé Eric Clinton Kirk Newman. «Parce que j'aimais Clint Eastwood et Kirk Douglas», a précisé le père. Ils ont eu deux autres enfants par la suite, un garçon, Conrad, puis une fille, Melissa.

Au début, la petite famille a vécu avec les parents de monsieur. Ceux-ci possédaient une animalerie et le jeune Eric (l'accusé) aimait bien y aller, car il adorait les animaux, a raconté le père.

Le témoin a occupé de petits emplois et dit avoir travaillé une dizaine d'années dans une usine de savons. Il a acheté une maison à Bethany, mais a fini par la perdre en raison de dettes qu'il impute à sa femme. Celle-ci dépensait sans compter à crédit, a-t-il dit.

À la maison

L'épouse ne voulait pas envoyer les enfants à l'école. Elle leur faisait plutôt la classe à la maison. Selon le témoin, cet enseignement n'était pas efficace. Si ses souvenirs sont exacts, son fils Eric, qui allait plus tard se faire appeler Luka Rocco Magnotta, est entré à l'école publique en 6e ou en 7e année. Il a été la cible de railleries à l'école et se serait fait malmener.

Le père convient qu'il a eu des problèmes d'alcool et affirme que son épouse en avait également. Il lui arrivait de la trouver soûle quand il rentrait du travail, le soir, dit-il.

Séparation

Le témoin et Anna Yourkin se sont séparés dans les années 90, peut-être en 1995 ou 1996. «Je ne l'aimais plus et je n'aimais pas la façon dont elle traitait les enfants», a-t-il dit.

C'est à peu près à ce moment qu'il a commencé à avoir des problèmes psychiatriques. Il buvait beaucoup, mais a cessé par la suite.

«J'entendais des voix, j'avais des idées suicidaires, j'étais agressif, j'avais l'impression qu'on me suivait...», a-t-il énuméré. Il a consulté et on lui a diagnostiqué une schizophrénie. Il a été hospitalisé plusieurs fois et s'est souvent rendu à l'urgence. Il prenait et prend encore beaucoup de médicaments, dont des antipsychotiques. Il estime que son état est stable depuis une dizaine d'années, grâce à la Clozapine, qui calme ses psychoses. Il entend encore des voix, cependant. Il en a entendu la semaine dernière.

Le 7 mars 2003, le père a appris que son fils avait été admis à l'hôpital Rouge-Valley et qu'il entendait des voix. Le père s'inquiétait pour son fils et s'est arrangé pour que son psychiatre traitant s'occupe aussi de son fils.

Peu de contacts

Le père a eu peu de contacts avec son fils au cours des dix dernières années. Il sait qu'il a changé de nom en 2006. «Je n'étais pas content, je ne comprenais pas pourquoi», a avoué le père. Il sait que son fils disait voyager beaucoup, car il aimait cela. Il serait allé en Californie, en Italie, à Miami... Magnotta aurait aussi prétendu, à un certain moment, qu'il demeurait en Russie et qu'il était marié.

Le père pense avoir déjà rendu visite à son fils, à Montréal, mais il ne se souvient pas de l'endroit où il demeurait.

Depuis son arrestation, en juin 2012, Magnotta est détenu. Son père lui a rendu visite en prison 4 ou 5 fois. Mais depuis quatre mois, cela n'est plus possible. La famille de Magnotta n'est plus autorisée à y aller, a-t-il dit, sans donner de détails. Le père est persuadé qu'il est innocent. «Je sais qu'il ne l'a pas fait. C'est mon fils, je connais mon fils.» Le procès se poursuit lundi.