Il y a dix ans aujourd'hui, 14 jeunes femmes pleines d'énergie et d'espoirs tombaient sous les balles d'un homme qui détestait les «féministes». Un geste cruel et insensé qui reste profondément marqué dans la mémoire collective des Montréalais.

Même le ciel a pleuré ce douloureux souvenir, hier, lors de l'inauguration de la place du 6-Décembre-1989, située à deux pas de l'École polytechnique de Montréal, où Marc Lépine avait semé la terreur avant de se suicider, dix ans plus tôt.

Sous une pluie froide et triste, les familles des victimes rassemblées sur la place ont échangé un sourire ou une accolade émouvante, avant de se serrer les coudes sous des parapluies trop rares pour écouter le discours du maire Pierre Bourque.

Une centaine de personnes ont aussi bravé la pluie pour rendre hommage aux victimes et envahir la nouvelle place - un espace ouvert et éclaté baptisé Nef pour quatorze reines et créé par l'artiste québécoise Rose-Marie Goulet.

«Le 6 décembre 1989, Montréal a tremblé, Montréal a été blessée. Nef pour quatorze reines nous permet de franchir une étape dans le deuil, celle d'offrir à la mémoire collective montréalaise un lieu de recueillement, un lieu propice à la réflexion», a dit le maire.

«Cette oeuvre fait maintenant partie du patrimoine artistique des Montréalais, comme la triste date du 6 décembre 1989 est inscrite dans l'histoire de notre ville», a poursuivi M. Bourque.

Après les discours, les familles ont posé des roses blanches sur les 14 tertres surmontés d'une bande de granit noir portant, en lettres métalliques, les noms de chacune des victimes. Quelques larmes se sont mêlées à la pluie. Dix ans après la tragédie, la douleur est toujours très vive.

«On nous a souvent demandé, à nous les familles, pourquoi il n'y avait pas de monument ou de place commémorative à Montréal, alors qu'il en a un peu partout ailleurs au Canada. Toronto en 1990, Moncton en 1996, Vancouver en 1997, et à Montréal, rien», a dit Claire Roberge, présidente de la Fondation des victimes du 6 décembre contre la violence.

Selon elle, il ne faut pas y voir un manque de courage ou une volonté d'oublier, de tourner la page sur une histoire trop troublante. Au contraire.

«Montréal n'avait pas besoin de monument pour se rappeler la tragédie, ses cicatrices étaient béantes! Mais dix ans ont passé. Bien sûr, les cicatrices sont encore là, mais la mémoire oublie. Surtout les mauvais souvenirs.»

Malgré leur grande douleur, les familles refusent que leur fille, leur soeur ou leur épouse ne sombre un jour dans l'oubli. Hier, c'est un message d'espoir qu'elles ont lancé. Parce qu'il faut se souvenir pour agir.

Mme Roberge, la conjointe du père d'une jeune victime, Geneviève Bergeron, a souhaité que ceux qui traverseront la place du 6-Décembre-1989 'travaillent ensemble à bâtir le monde meilleur qu'on s'était promis au lendemain de la tragédie.'

La présidente de la Fondation a aussi invité le public à porter un ruban blanc à chaque fois qu'une femme sera tuée au Québec. 'Porter le ruban blanc, ce sera porter son deuil. Et nous la nommerons à ceux qui nous questionnerons.'

De son côté, le maire Bourque a lancé un appel aux municipalités de tout le pays pour 'se joindre à ce mouvement de réflexion et d'action qui nous permettra de bâtir une société où les relations entre hommes et femmes reposeront sur des rapports harmonieux et égalitaires.'

Le 6 décembre 1989

Barbara Daigneault

Nathalie Croteau

Hélène Colgan

Sonia Pelletier

Anne-Marie Lemay

Annie St-Arneault

Geneviève Bergeron

Maud Haviernick

Michèle Richard

Annie Turcotte

Maryse Leclair

Anne-Marie Edward

Maryse Laganière

Barbara Klucznick Widajewick