Figure emblématique de Canada Inc., Paul Desmarais a incarné un modèle de capitaliste financier à la fois redoutable et redouté. À partir d'une entreprise familiale, ce Franco-Ontarien d'origine a su bâtir au fil des ans une des plus puissantes entreprises financières canadiennes et un groupe de médias francophones respecté et influent

Sans minimiser la force que représente la propriété de la majorité des quotidiens dans une collectivité, l'intérêt qu'a toujours manifesté Paul Desmarais pour les entreprises de presse, puis de communications canadiennes, ne s'est pas concrétisé par des succès aussi spectaculaires que dans le secteur financier. Paul Desmarais a caressé le rêve de créer dans le secteur des communications l'équivalent de la Financière Power dans les services financiers.

L'imposant réseau de quotidiens qu'il est parvenu à développer reste modeste, si on le compare aux groupes BCE, Rogers Communications ou Québecor Média, présents à la fois dans la presse écrite, la téléphonie, le câble ou la télévision. Ces derniers n'auront jamais eu en revanche à essuyer de refus au nom de la concentration ou de la propriété croisée, ce que la rectitude politique nomme aujourd'hui la convergence.

Installé à Montréal en 1962, c'est cinq ans plus tard que M. Desmarais achète La Presse, La Patrie et une dizaine d'hebdos de la famille Berthiaume, en proie à des déchirements.

Il avait été intéressé à construire une chaîne de journaux dès 1965 quand Jacques Francoeur l'avait convaincu d'acheter La Tribune de Sherbrooke. Dans la foulée, les propriétaires du Nouvelliste de Trois-Rivières et de La Voix de l'Est se vendent aussi à Journaux Trans-Canada, la société créée dans les circonstances par M. Desmarais et à laquelle M. Francoeur restera longtemps associé.

On voit dans certains milieux comme monstrueux ce qui prend forme. Pour faire taire ses détracteurs, M. Desmarais cède CKAC, la station née dans les locaux de La Presse, à Philippe de Gaspé Beaubien moyennant 10 millions, somme énorme à l'époque qu'il lui avance au moyen d'une obligation portant un taux de 6%. Parallèlement, M. Desmarais réussit à s'emparer de Power Corporation du Canada.

M. Desmarais est perçu alors comme l'entrepreneur canadien-français le plus dynamique de sa génération et sa puissance nouvelle suscite l'admiration, mais attise les craintes. Les redressements nécessaires dans les filiales de son conglomérat (les chantiers maritimes Davie, Consolidated-Bathurst, Dominion Glass, Canadian Steamship Lines, Transport Provincial) entraîneront de durs et longs conflits de travail dont celui à La Presse, en 1971.

Le nom de Power est vite satanisé par les directions syndicales qui forcent le gouvernement de Robert Bourassa à l'empêcher une première fois d'acquérir Le Soleil.

Power détient alors quatre quotidiens (La Presse, Le Nouvelliste, La Voix de l'Est et La Tribune), quelques hebdos, une maison d'édition, des radios en région et des stations de télé en Ontario.

Le holding achète Montréal-Matin, mais devra le fermer à la fin de la décennie après le troisième long conflit de travail à La Presse en moins de 20 ans auquel se joindront les employés du Matin.

Ces affrontements auront affaibli La Presse et consolidé un redoutable concurrent, Le Journal de Montréal de Pierre Péladeau. La récession de 1981 entraîne une difficile rationalisation au quotidien de la rue Saint-Jacques. Il retrouvera cependant de son lustre à partir de 1984 avec les festivités qui marquent son centenaire.

C'est en 1986 que Paul Desmarais tente à nouveau d'étendre son emprise sur les médias canadiens, une industrie dans laquelle il piétine tandis qu'il gagne du galon dans les secteurs financiers d'ici et d'Europe.

Non, non, non

Il subit trois rebuffades. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes n'autorise pas l'achat par Power de Télé-Métropole. Le Canal 10 est alors la station privée la plus populaire.

Power y voyait la pierre d'assise d'un groupe de production francophone international auquel aurait pu participer Radio- Télévision Luxembourg (RTL) dans laquelle il avait des intérêts significatifs grâce à une ramification européenne du holding. Dans un geste incompréhensible, le gouvernement de Brian Mulroney retient la firme Memotec Data comme acheteur de la lucrative société d'État Teleglobe qu'il s'était engagé à privatiser. Le fabricant de circuits intégrés dame le pion à Power et à BCE.

Le gouvernement Bourassa déclare en outre qu'il n'est pas question que M. Desmarais acquière Le Soleil même si son propriétaire Jacques Francoeur, qui, lui, cherche preneur, entretient de bons liens avec la famille Desmarais.

C'est finalement Conrad Black, alors magnat toutpuissant de Hollinger, qui s'en empare.

MM. Black et Desmarais restent toutefois en termes cordiaux. Le premier invitera même le second à se lancer avec lui à la conquête de la chaîne Southam qui exploite des quotidiens de prestige au Canada anglais, dont The Montreal Gazette, et une agence de presse. L'entente est scellée le 19 mars 1993 par un investissement de 180 millions de Power dans la chaîne de journaux où Hollinger détient déjà près de 20% des actions.

Il s'agit du premier investissement substantiel de Power au Canada depuis les ventes retentissantes en 1989 de ses intérêts dans Consol et dans Montréal Trust, qui avaient fait dire à certains que, faute de pouvoir grandir au Canada où on le bloque, M. Desmarais préfère retirer ses billes du jeu. Entre-temps, Power aura essayé de se lancer sans succès dans l'aventure de la télé par satellite. M. Desmarais en aura aussi surpris plus d'un en y allant d'une mise de 100 millions dans Time Warner par l'entreprise d'une filiale discrète appelée Marquette Communications.

Le mariage avec Hollinger tient jusqu'en mai 1996, quand l'empire de M. Black exerce son droit de préemption sur le bloc de Power qui a jugé à propos de réaliser son investissement. En trois ans, les 180 millions auront généré un joli bénéfice de quelque 60 millions.

Le mois précédent, M. Desmarais avait cédé la conduite de Power à ses fils Paul, jr, et André. Ce dernier devient président du conseil de La Presse.

C'est sous sa direction et grâce aux efforts de l'éditeur Guy Crevier que Gesca parvient finalement en 2000 à mettre la main sur Unimédia, la filiale de Hollinger où se retrouvent les trois quotidiens Le Soleil, Le Quotidien et Le Droit ainsi que plusieurs hebdos et imprimeries.

Power vend en parallèle ses 17 stations de radio et quatre autres de télé en Ontario au groupe Corus. Aujourd'hui, la présence de Power dans les médias canadiens est concentrée dans les quotidiens au Québec (à l'exception du Droit à Ottawa), où elle représente un peu plus de 45% du tirage francophone. Gesca est aussi propriétaire du site web LaPresse.ca. En plus de Gesca, Power possède, par l'entreprise de sa filiale Propriétés numériques Square Victoria, des participations dans Workopolis, Olive Média et LP8 Média, qui a produit plusieurs émissions à succès comme Les Parent et La Petite Séduction. Après deux ans de préparation et 40 millions d'investissements, LaPresse+ a été lancée le 18 avril 2013. Jusqu'ici, le succès est fulgurant.