La rancune des parents en guerre leur coûte une fortune. Elle ruine aussi les tribunaux, pris d'assaut pour des vétilles. Voici comment juristes et psychologues s'ingénient à réinventer leur approche face à ces dossiers de plus en plus lourds. Et comment l'on a puni des dizaines de témoins-experts, qui se comportaient davantage comme des mercenaires.

Les parents à couteaux tirés ne font pas que traumatiser leurs enfants, ils engorgent de plus en plus les tribunaux, qui veulent enrayer ce fléau.

«Dans les dossiers hautement conflictuels, peu importe ce qu'on décide, les parents ne respectent pas nos jugements. Leurs émotions les guident, pas la raison. On se sent un peu impuissants, affirme le juge en chef de la Cour supérieure, François Rolland. Certains parents déposent un nombre hallucinant de requêtes pour des choses parfois ridicules. Dans un litige de garde, j'étais le 35e juge à intervenir en l'espace de deux ans!»

Résultat: même si les conflits extrêmes déchirent seulement 10 % des couples séparés, ils accaparent 90 % du temps des magistrats. «Et pendant qu'on entend ces dossiers-là, on ne peut en entendre d'autres», souligne le juge François Rolland, si résolu à régler le problème que sa cour teste actuellement une nouvelle approche révolutionnaire.

Kafkaïens

En attendant, les requêtes - et les coups bas - pleuvent librement. Des parents interviewés dans le cadre de notre reportage se sont présentés 125 fois en cour - devant 26 juges différents - en six ans. Le père inquiet a dilapidé deux héritages et réhypothéqué la maison de sa propre mère pour assumer des factures d'avocat frôlant les 200 000 $, tellement il se méfiait de son ex, qui n'a pas d'argent pour se battre à armes égales.

«J'ai dû faire faillite et j'ai perdu un emploi», raconte un autre père, travailleur de la construction des Laurentides, faussement accusé d'agression sexuelle sur sa fille par son ex-conjointe, éducatrice. «Je devais toujours manquer le travail pour aller en cour et mon rendement n'était pas optimal.»

«Les dossiers familiaux sont de plus en plus lourds. Je vois des cas presque kafkaïens! À Montréal, on a des procès de 10 ou 15 jours, alors qu'en région, trois ou quatre jours, c'est une grosse affaire», résume Michel Tétrault, avocat à l'aide juridique et professeur de droit à l'Université de Sherbrooke.

Vétilles

Les conventions de garde font désormais des pages et des pages, dit-il. Et, malgré tout, «des vétilles sont montées en épingle: il manquait un bas dans la valise de l'enfant ou bien l'autre parent était 10 minutes en retard».

Les jugements et les requêtes recèlent quantité d'exemples de débats puérils: un trou dans une mitaine, un chien baptisé du nom de la nouvelle belle-mère des enfants, etc. Ou encore, dans le dossier de garde d'une petite Montréalaise de 6 ans:

- «Madame copie les activités que monsieur entreprend avec l'enfant.»

- «Madame a défait les cheveux de l'enfant tressés à Cuba.»

- «Madame a demandé à l'enfant de prendre des ice-pack chez monsieur en l'avisant qu'il lui aurait volé les siens.»

«Chacun cherche à établir une position dominante par rapport à l'autre. Un drame résulte du fait que l'enfant porte des vêtements achetés par l'un lorsqu'il arrive chez l'autre parent», résume le jugement qui les concerne.

«C'est vraiment des dossiers merdiques. Souvent, l'un des deux parents n'a pas d'avocat et l'autre subit», déplore l'avocate en droit de la famille Suzanne Moisan, membre de divers comités qui tentent de changer les choses.

En matière familiale, certains trouvent encore des avocats guerriers - qui les encouragent au lieu de les raisonner -, mais 45 % des gens se représentent seuls.

Ils soumettent aux juges des requêtes agressives, comme celle-ci, déposée l'an dernier par un père enragé contre le psychologue ayant conclu qu'il devait voir son fils sous supervision: «Ces propos sont dignes d'un salop [sic], d'un être abject indu [sic] de sa personne, d'un scélérat, d'un charlatan [...]. Dans certains pays de cette planète ou comme autrefois, ces gens étaient lynchés sur la place publique dans le but de débarrasser le peuple de ces vermines.»

«Outils de vengeance»

Coincés au milieu, les enfants sont trop souvent utilisés comme des «outils de vengeance», déplore le juge François Rolland. «Dans bien des cas, des bouts de chou de 5 ou 6 ans qui témoignent, ça n'a pas d'allure», dit-il.

«L'enfant dit ce que le parent veut entendre, même si c'est une fausseté, renchérit Me Moisan. Quand on s'en sert en cour, il se referme; il ne sait plus à qui se confier.»

Personne n'est à l'abri, apparemment. Il y a deux ans, un avocat montréalais a perdu les pédales dans sa propre cause de garde d'enfant. À force de bombarder son ex-conjointe et la Direction de la protection de la jeunesse de requêtes abusives, il a fini par être radié à vie du Barreau.