«Où est l'ethnique? Cette chaîne de télé est une vraie farce. Ils se foutent de nous!»

George Saad est furieux: il trouve que la station Metro 14 bafoue complètement son mandat multiculturel montréalais. Et il est temps, croit-il, que ses propriétaires remplissent leurs obligations.

«C'est comme si on n'existait pas, renchérit M. Saad, vedette des médias égyptiens à Montréal depuis un quart de siècle. Nous payons nos taxes comme tout le monde. Nos communautés devraient avoir le droit d'avoir des émissions de télé dans leur langue.»

Vrai que Metro 14 joue un drôle de jeu. Vendue à des intérêts ontariens en 2009, l'ancienne CJNT a complètement cessé sa production ethnique locale, se contentant, depuis deux ans et demi, de rediffuser en boucle des talk-shows (vieux de trois ans) qui faisaient jadis la réputation de la chaîne, tels que Foco Latino, Échos du Vietnam, Noir de Monde, Paysage Afromonde et From Egypt to Montreal... qui était, soit dit en passant, animé par M. Saad.

On s'en doute: cela ne plaît pas beaucoup aux communautés ethniques, qui n'ont plus de chaîne télé conventionnelle pour les couvrir et les représenter. Ancien animateur de l'émission Foco Latino, Omar Alexis Ramos parle carrément d'un «manque de respect pour les immigrants» car ceux-ci «n'ont plus de voix visuelle pour exprimer leur réalité». Selon lui, cette tribune était un excellent pont pour l'intégration des nouveaux arrivants, et il pense que le provincial aurait dû depuis longtemps mettre son nez dans le dossier.

Officiellement, Metro 14 a jusqu'à son renouvellement de licence en 2016, pour se rattraper. La torontoise Channel Zero, propriétaire de la station, se serait même «engagée» à le faire auprès du CRTC qui a, jusqu'ici, fait preuve de beaucoup de bonne volonté. Mais après deux ans et demi, le temps commence à se faire long et certains s'impatientent.

Outre ses reprises de talk-shows passés date, Metro 14 honore actuellement son mandat multilingue en passant des clips de world beat et des films en langue étrangère. Le reste de la programmation est essentiellement composé d'émissions américaines diffusées aux heures de grande écoute, sans oublier Metro Debut, un morning show générique qui parle de Montréal mais qui est tourné... à Toronto!

Combler le vide

Faute de mieux, le Montréal multiculturel s'organise pour combler le vide. Ces dernières années, on a vu l'émergence de la chaîne sud-asiatique Punjabi Plus et de la chaîne latino Télé Nuevo mundo, qui propose un bulletin d'information émanant de Montréal. La productrice d'origine haïtienne Fabienne Colas vient par ailleurs d'obtenir une licence du CRTC pour une «Télé-Diversité» en français à venir d'ici 48 mois.

D'autres se rabattent carrément sur la Toile, qui s'avère une possibilité plus accessible pour les producteurs indépendants. C'est le cas d'AfriqueCanada.tv qui couvre le Montréal africain depuis 2009, du site web MediaMosaïque, qui donne désormais dans le reportage vidéo ou de Mtélé qui s'intéresse de près à la communauté maghrébine.

L'avenir de la télé ethnique à Montréal se trouverait-il sur l'internet, médium plus léger et par là moins coûteux?

«Pas certain, répond Omar Alexis Ramos, qui a tenté l'aventure web avec plus ou moins de succès (voir la Salamandra negra, sur YouTube). Beaucoup d'immigrants n'ont pas d'internet. Pour eux, la télé est un moyen de communication plus efficace.»

«Disons que pour l'instant, le web est un substitut, précise Dramane K. Denkess, fondateur d'AfriqueCanada.tv. Mais tant que les moyens financiers feront défaut et que les populations immigrantes ne se reconnaîtront pas dans la télévision classique grand public, ce sera un substitut à long terme.»

D'ici là, voyons quel lapin Metro 14 sortira de son chapeau. Entre les branches, on entend dire que Channel Zero serait en discussion avec Communications Mi-cam, une boîte de production montréalaise impliquée depuis 25 ans dans la télévision ethnique. Mais son patron Sam Nourouzi a refusé d'en dire plus à La Presse, se limitant à dire que «le dossier avance» et qu'il restait quelques «détails techniques à résoudre». Partenariat en vue? Oui, mais quand?

«Tout le monde se pose la question» lance Mary Griffith, directrice de la radio grecque CKDG. Vétéran des médias ethniques au Québec, elle admet que Metro 14 est «loin de refléter l'intérêt des communautés» montréalaise. Et il est clair que le temps des rediffusions a assez duré. «Qu'ils mettent des vieux vidéos de Liberace, conclut-elle. Au moins il y aurait de la bonne musique...»

Channel Zero n'a pas rappelé La Presse.