Un an, c'est peu. Mais c'est une éternité quand on laisse les gens qu'on aime loin derrière. Parlez-en à Beatrice Djamba Wesanu, qui est venue refaire sa vie au Canada.

Partie du Congo pour sauver sa peau, Beatrice a débarqué à Montréal il y a un an, presque jour pour jour.

À son arrivée à l'aéroport, elle n'avait pour bagage qu'une petite valise contenant deux habits, quelques photos et ses papiers d'identité. Partie en catastrophe, elle a tout laissé derrière elle, y compris ses quatre grands enfants, qui viendront la rejoindre un jour, si Dieu (et le ministère de l'Immigration) le veut.

«J'ai laissé ma famille en enfer, lance la réfugiée politique d'un ton neutre. Mais je n'avais pas le choix.»

Ravagée par le chaos, la pauvreté et l'instabilité politique, la République démocratique du Congo n'est effectivement pas le meilleur endroit pour vivre par les temps qui courent. Les dernières élections controversées qui ont ramené Kabila au pouvoir n'ont rien fait pour arranger les choses. Le pays est une poudrière. Et ça ne date pas d'hier.

Il y a cinq ans à peine, Beatrice était fonctionnaire de l'État à Kinshasa. Belle petite vie sans histoire, jusqu'au jour où, soupçonnée d'appuyer Jean-Pierre Bemba, principal opposant de Kabila aux élections de 2006, on l'a jetée en prison sans crier gare.

«Je crois qu'on voulait que je serve d'exemple. J'étais de la même ethnie que Bemba. J'étais coupable par association», dit-elle avec du recul.

Pendant 10 mois, elle a croupi dans les geôles de Kinshasa. Dix mois sans recevoir de visites, à souffrir de dysenterie, de malaria, à être violentée et torturée, sans trop comprendre ce qui lui arrivait. «On m'avait oubliée. Je pensais que j'allais mourir là», dit-elle, manifestement peu encline à revenir sur cette épreuve.

Il aura fallu l'intervention d'un politicien haut placé pour la sortir du trou. Mais Beatrice a vite compris qu'elle ne serait pas plus en sécurité à l'extérieur. Harcelée pendant des mois, et menacée d'être renvoyée derrière les barreaux, elle n'a plus eu d'autre choix que de quitter le Congo en laissant derrière elle ses quatre enfants âgés de 15 à 21 ans. «C'est comme si mon coeur était dehors, dit-elle. Mais il fallait tenter le coup au lieu de faire face à une mort prochaine», dit-elle.

Faux passeport en main, elle a pris l'avion pour Montréal, pour grossir les rangs de la communauté congolaise qui se chiffre déjà à plus de 10 000 personnes.

»À l'intérieur, c'est creux»

Ce fut, d'entrée de jeu, le parcours classique du réfugié.

Passé le choc thermique initial («Il faisait -13, je n'avais qu'un tricot sur le dos»), Beatrice est allée vivre quelques semaines au YMCA, puis dans une chambre et, enfin, en appartement dans l'Est avec une colocataire burundaise.

Après quelques semaines à travailler dans une usine, elle a suivi des cours de préposée aux bénéficiaires et travaille depuis avril dans des résidences pour personnes âgées. Elle envoie l'essentiel de sa paye au Congo et dit vivre avec 40$ par mois, une fois que les factures sont payées.

Pour cette ancienne fonctionnaire haut placée, c'est ce qu'on appelle recommencer au bas de l'échelle. Mais elle ne s'en plaint pas. Ses patrons l'apprécient, elle se sent utile et, surtout, elle est vivante.

Coquette et souriante, Beatrice Djamba Wesanu ne veut manifestement pas jouer les victimes. Mais en dépit des apparences, elle admet que cette première année au Québec a été pour elle une fichue épreuve. Dans une ville où tout le monde court comme des poules sans tête, et où les rues sont mille fois plus vides que celles de Kinshasa, elle a vite senti le poids de l'isolement.

«La solitude tue, dit-elle. Je mets un peu de maquillage, mais à l'intérieur, c'est creux. La télé est devenue mon amie. À un tel point que je sais tout du hockey et de la politique au Québec. Je m'occupe en faisant du bénévolat. La prière est devenue pour moi une distraction. J'essaie de me conformer. Mais j'ai peu d'occasions de m'amuser. Et des fois, je ne sais même pas pourquoi je pleure.»

Plus vite!

Ce qu'elle sait, en revanche, c'est que ses enfants lui manquent. Et qu'elle s'inquiète pour eux, alors que le Congo est au bord de la guerre civile.

Le hic, c'est qu'ils ne pourront pas venir au Canada tant qu'elle n'aura pas obtenu sa résidence permanente, un processus qui peut prendre du temps, beaucoup de temps, voire trop de temps.

«Il y a tellement de gens qui souffrent de la lenteur de l'administration, lance Beatrice dans un grand cri du coeur. Ça cause des préjudices aux couples, aux mères qui, comme moi, sont séparées de leurs familles. Il y a des conséquences au niveau financier, mais aussi au niveau de la santé mentale et de l'épanouissement de l'immigrant. Alors moi, je dis qu'il faut traiter le problème congolais avec plus de diligence. Je connais des gens qui sont arrivés en 2008 et qui n'ont toujours pas été auditionnés. Ça n'a pas de sens.»

Avec un an de Montréal dans le corps, Beatrice n'est sans doute pas au bout de ses peines. Mais elle garde espoir. L'année prochaine, avec un peu de chance, les choses auront évolué. En attendant, la Congolaise va poursuivre son adaptation au pays du froid. «J'ai des mitaines, un manteau, conclut-elle. Je commence même à penser comme les Québécois . Penses-tu que le Canadien va trouver un entraîneur francophone?»