Besoin de faire bonne figure pendant les Fêtes? Envie d'être clean cut pour embrasser cousine et matante? Passez voir Ashraf Attalla, le barbier pour hommes de la rue Legendre, à Ahuntisc.

Égyptien d'origine, Ashraf maîtrise une technique épilatoire qui remonte au temps des Mille et Une Nuits. Rien à voir avec les procédés plus ou moins modernes utilisés par nos esthéticiennes. Son seul outil est un fil de coton pour la couture, dont il se sert pour arracher les poils.

Très populaire dans les pays arabes. Propre. Bon pour la peau. Réveille le collagène», dit-il de sa voix de baryton extra basse.

Il faut voir Ashraf manipuler son fil. Une vraie chorégraphie. Un bout dans la bouche, l'autre entortillé autour des doigts pour reproduire l'effet du noeud coulissant. On ne le dirait pas, à première vue, mais ce procédé surgi du fond des âges est plus efficace que trois appareils à électrolyse. «Petits poils, gros poils, j'attrape tout», précise Ashraf, en s'attaquant successivement aux joues, aux sourcils et aux oreilles.  

Trop beau pour être vrai? Tout dépend de votre seuil de tolérance. Car l'opération n'est pas sans douleur... comme en témoigne notre reportage vidéo. Située à mi-chemin entre la cire à épiler et l'arrachage de dents, cette «vieille technique égyptienne» tire autant les larmes que les poils. «C'est pire la première fois, mais après, on s'habitue», lance le barbier en riant sous sa moustache.

Passé le traumatisme initial, on finit même par y prendre goût, Égyptien ou non. Outre la communauté arabe, qui retrouve ici un peu de son chez-soi, Ashraf compte sur une clientèle fidèle et diversifiée, qui inclut Portugais et Italiens d'origine ou Québécois de souche. «D'abord, ils crient Ouch! Tabarnak! Après ils me disent: "Oublie pas le fil, ma blonde aime ça! "»

Fait à noter: 10% de ses clients sont des femmes, qui viennent le voir pour une «job» de sourcils et de moustache. Mais là s'arrêtent ses compétences, tranche-t-il. «Une fois, une dame m'a demandé de faire le bikini. J'ai dit non...»

Gardien de la tradition

Mais, par la barbe du pharaon, où et comment Ashraf a-t-il appris cette fascinante technique? Longue histoire, qui commence en Irak il y a un quart de siècle.  

Immigrant à Bagdad, M. Attalla faisait les shampoings dans un salon de barbier. À force d'observer son patron, il a fini par piger le truc. De la théorie à la pratique, il a fini par faire le saut. «D'abord, je me suis exercé sur mes pantalons; après, sur mes amis, raconte-t-il. Un jour que le patron n'était pas là, des clients sont entrés. J'ai plongé.»

Apparemment, l'épilation au fil est encore très répandue au Moyen-Orient. C'est beaucoup moins le cas ici, où Ashraf serait l'un des rares à employer cette technique ancestrale. À Montréal, les jeunes barbiers d'origine arabe ne connaissent pas le «fil», parce qu'ils ont appris le métier ici. «Je suis le gardien de la tradition», dit-il.

Ce noble rôle, hélas, ne l'a pas rendu plus riche. Dix ans après son ouverture, son salon pour hommes est loin d'être une poule aux oeufs d'or. Couturier à ses heures (tant qu'à avoir du fil!), Ashraf offre aussi un service de reprisage au fond du commerce. Pour boucler ses fins de mois, il travaille aussi comme agent de sécurité à la Plaza Sainte-Thérèse, un autre genre de culture à protéger... «Je travaille 42 heures ici et 42 heures là-bas. Toutes les nuits, je finis à 1h30 le matin», précise-t-il.  

Mais il ne se plaint pas. «Je suis venu ici pour chercher la liberté. J'ai la liberté.»

Il faut savoir qu'Ashraf a quitté l'Égypte en plus ou moins bons termes. Chrétien dans un pays à forte majorité musulmane, ce diplômé en agriculture affirme avoir été victime de ses croyances religieuses. Sauf pour un travail d'enseignant payé 5$ par semaine, sa vie professionnelle là-bas était un désastre. «À compétences égales, on engageait toujours les musulmans. J'étais zéro. Je n'arrivais pas à trouver ma place dans mon propre pays.» D'où ce détour par l'Irak - dont il reviendra ruiné, because la guerre du Golfe -, puis ce sera l'exil à Montréal, où 24% de la communauté égyptienne est de croyance copte orthodoxe.

Vingt ans plus tard, Ashraf a refait sa vie à Laval-des-Rapides avec sa femme et son fils. Mais ça ne l'empêche pas de suivre avec intérêt ce qui se passe chez lui.  

Avec la montée des Frères musulmans, le barbier se dit plus préoccupé que jamais par le sort des chrétiens égyptiens. Si le marché du travail leur est désormais plus accessible - merci au nombre grandissant d'entreprises étrangères -, les violences interreligieuses ne vont pas en diminuant. Harcelés par les musulmans (représailles, églises incendiées) et l'armée (encore 24 morts en octobre dernier), les Coptes quittent l'Égypte par milliers.

À entendre Ashraf, la «révolution égyptienne» n'aura pas le même goût pour tout le monde. Mais il attend de voir. «Difficile de juger. Ça va prendre du temps», dit-il en déroulant son immense bobine de fil bleu.

Je te fais aussi les oreilles?»

Ashraf Attallacoiffeur pour hommes - 759, rue Legendre