Il y a 20 ans, Kahnawake était un désert médiatique. Aujourd'hui, c'est une des réserves autochtones les plus branchées d'Amérique du Nord.

Avec deux stations de radio, un journal, un site web et deux stations de télévision pour une population de 7000 personnes, «K Town» est actuellement en plein boom médiatique. Par comparaison, sa cousine Akwasasne, près de la frontière américaine, ne compte qu'une radio et deux journaux pour 12 000 personnes. C'est tout dire.

Comment expliquer ce curieux phénomène? La crise d'Oka, entre autres. En 1990, il n'y avait que des médias de l'extérieur pour parler de Kahnawake. Mais les Mohawks, on s'en doute, n'y jouaient pas le plus beau rôle.

C'est ce qui a poussé Kenneth Deer à fonder, deux ans plus tard, The Eastern Door, journal fait pour et par les gens de la réserve. «L'information était biaisée, explique Kenneth Deer. On avait l'impression que tout le monde à Kahnawake se promenait avec des masques, du camouflage et des fusils. J'en avais assez des rumeurs. Alors, j'ai créé une source d'information fiable.»

Le succès du Eastern Door a été immédiat et a ouvert la voie à une nouvelle génération de journalistes et d'entrepreneurs de l'information. L'accès aux nouvelles technologies et l'implantation du câble dans la réserve, à la fin des années 90, n'ont fait qu'accélérer la tendance.

Pour Greg Horn, fondateur du site kahnawakenews.com et chef des nouvelles à la radio K-103, cette explosion n'a rien de surprenant. Conteurs nés, les Mohawks ont réalisé qu'ils étaient les mieux placés pour parler d'eux-mêmes. «Personne ne sait mieux que nous ce qui se passe ici», dit-il.

Et puis, il faut bien le dire: Kahnawake a tout ce qu'il faut pour favoriser l'effervescence médiatique. Dans cette réserve en constante ébullition, connue pour son nationalisme parfois radical et ses industries plus ou moins légales, les bonnes histoires ne manquent pas. «Pour nous, tout est politique, et ce qui est politique fait jaser», résume Steve Bonspiel, éditeur du Eastern Door depuis 2008.

Publicité tricotée serré

Unis sous la bannière mohawk, les médias de Kahnawake ont, malgré tout, leurs différences.

Certains penchent pour le divertissement, d'autres pour l'information pure et dure. Certains donnent une place à la langue mohawk, d'autres non. Certains appuient le conseil de bande, d'autres moins.

Une seule constante: il faut bien du courage pour travailler dans une aussi petite communauté. Car ici, tout le monde se connaît et les journalistes doivent régulièrement composer avec les susceptibilités et les liens de longue date. Comme le dit si bien Kenneth Deer, «il est difficile de parler de quelqu'un qui a commis un crime quand on connaît sa famille».

«Tout devient vite très personnel, ajoute Steve Bonspiel. À Montréal, le maire ne rappelle pas les journalistes parce qu'il se cache. Ici, on ne nous rappelle pas parce qu'on ne nous aime pas... «

En outre, la concurrence est féroce. Malgré son abondance de casinos, de stations d'essence et de cigarette shops, l'économie de Kahnawake a ses limites. Et la tarte publicitaire aussi.

Certains s'en sortent plutôt bien. C'est le cas de la radio K-103, qui peut compter sur une vache à lait (le bingo du vendredi soir!) et quelques annonceurs du Grand Montréal.

À l'opposé, la station de télé CKER en arrache. À tel point que son propriétaire, Wenetiio Diabo, a été obligé d'y investir son propre argent. «Je suis cassé. Je fais ce que je peux pour rester en ondes. Mais contrairement à d'autres, je n'ai pas de cigarette shop qui m'aide à faire rouler mon entreprise», dit-il... en refusant de s'avancer plus loin.

Construire un pont

De l'avis général, le marché s'ajustera avec le temps. Mais chose certaine, la communauté avait grand besoin de créer son propre espace de débat, au-delà du conseil de bande et des maisons longues qui se partagent le pouvoir.

Selon Kenneth Deer, cette explosion médiatique a permis aux Québécois de mieux connaître Kahnawake et aux Mohawks de mieux se comprendre eux-mêmes. «On avait besoin d'avoir de l'information et des opinions avec notre perspective, dit-il. Maintenant, on est mieux placés pour prendre les bonnes décisions.»

Signe des temps, le secteur commence aussi à s'ouvrir aux apports extérieurs.

L'an dernier, K-103 FM a embauché l'animateur Ted Bird, ex-vedette de CHOM. Légalisée récemment, la station country KKIC compte pour sa part un Québécois parmi ses propriétaires. Et elle n'a pas l'intention de se replier sur elle-même.

«Je veux qu'on devienne l'ultime destination country, conclut son fondateur, Don Patrick Martin, ancien chef de guerre pendant la crise d'Oka. Peu importe la langue - français, anglais ou mohawk -, je veux construire un pont entre la région et nous...»

À ÉCOUTER, LIRE ET REGARDER

> KKIC 89,9 FM. Vient officiellement d'entrer en ondes. Dans les faits, diffusait illégalement depuis plus d'un an, au grand dam du CRTC.

> K-103 FM. Depuis 30 ans, LA voix de Kahnawake. Rayonne jusque dans l'ouest de Montréal. Tous les midis, l'émission The Party Line permet de prendre le pouls de la réserve.

> The Eastern Door. La référence journalistique. Abonnements offerts.

> Kahnawakenews.com. Très prisé des Mohawks vivant à l'extérieur.

> CKER TV. Divertissement surtout. Diffuse un talk-show sportif (Season Ticket), une émission en mohawk pour les enfants (Tota tanon Ohkwa: ri) et les nouvelles du conseil de bande.

> Mohawk TV. Depuis janvier 2011.

> À voir: notre topo web sur Tota tanon Ohkwa: ri, le Muppet Show mohawk.