Il était près de midi, le 23 février 1979, quand l'hélicoptère s'est posé dans le stationnement de la Place Côte-Vertu, en face de la Banque Royale. Un homme et une femme en sont sortis, pantalon de cuir et look de rock stars. Ils sont entrés dans la banque avec une mitraillette et un sac de gym, puis sont repartis 10 minutes plus tard par le ciel. Sur le coup, les clients du centre commercial ont cru à un tournage. Mais l'affaire était bien réelle: Rory Shayne et sa complice venaient tout juste de dérober 12 000$.

Cette scène surréaliste n'est qu'une des nombreuses histoires que raconte D'Arcy O'Connor dans Montreal's Irish Mafia (The True Story of the Infamous West End Gang), livre très divertissant sur la mafia irlandaise de Montréal paru en anglais chez Wiley.

Journaliste de carrière (il a écrit pour le Wall Street Journal, People et National Geographic), documentariste, écrivain, vieux loup de mer et professeur à Dawson, D'Arcy O'Connor convient que son livre est d'actualité; de récentes révélations sur le port de Montréal ont ravivé le souvenir du West End Gang, une organisation criminelle qui a fait entrer des tonnes de cocaïne en Amérique du Nord, des années 70 au début des années 2000.

Enfin... «organisation» est un bien grand mot, dit-il. Dans les faits, le gang de l'Ouest était plutôt une association spontanée de malfaiteurs qui avaient en commun leurs origines irlandaises et le fait d'avoir grandi à Verdun, Pointe Saint-Charles ou Griffintown. C'est le journal Allo Police, précise-t-il, qui leur a collé ce nom dès 1955 - autant dire que leurs racines remontent assez loin.

«Contrairement aux Hells et à la mafia italienne, le West End Gang n'avait pas de rituels, de hiérarchie, de parrain ou d'omerta, explique l'auteur. C'était une bande de gars issus des quartiers pauvres, qui cherchaient des raccourcis pour faire de l'argent. La plupart, d'ailleurs, se sont limités aux vols de banques, de camions ou de coffres-forts.»

La plupart, mais pas tous.

Parce qu'ils contrôlaient le port, des acteurs plus importants comme Dunie Ryan, Sam The Weasel Ross et, bien sûr, Gerald Matticks ont fait leur fortune dans le trafic de cocaïne. Ils faisaient entrer la drogue par conteneurs et la vendaient ensuite en grosses quantités aux Hells Angels et aux Italiens. Pour cette raison, explique l'auteur, il est impossible d'écrire un livre sur le West End Gang sans parler du monde interlope montréalais dans son ensemble. «Mom Boucher, les Rizzuto, les frères Dubois, tous ces gens étaient liés», dit-il.

Selon la police, le gang de l'Ouest aurait écoulé pour plus de 90 millions de dollars de cocaïne. «Encore qu'à mon avis, ces estimations sont frileuses», précise O'Connor.

Quoi qu'il en soit, cette «performance» lui vaudra de rivaliser avec les plus importantes organisations criminelles du pays et de figurer parmi les plus redoutables mafias irlandaises d'Amérique, avec celles de Boston et New York.

Pas de relève

Contrairement à ce qui a été écrit dans nos pages la semaine dernière, D'Arcy O'Connor doute que le West End soit encore très actif. À son avis, l'âge d'or de la mafia irlandaise est passé.

Plusieurs ont été abattus, victimes de règlements de comptes. C'est le cas de Dunie Ryan, ex-«roi de la coke», dont le meurtre, en 1984, n'a toujours pas été élucidé. D'autres sont toujours sous les verrous (Allan Ross, Billy MacAllister) ou en liberté surveillée, comme Gérald Matticks et son fils Donald, sortis de prison en 2010.

En outre, le gang de l'Ouest aurait beaucoup souffert de l'exode anglophone entourant l'élection du Parti québécois, en 1976, et le référendum de 1980. «Parmi tous ceux qui sont partis, il y a eu beaucoup d'enfants de ces bandits, explique l'écrivain. Les affaires ne se sont donc pas transmises de père en fils comme chez les Italiens. Il n'y a pas eu de relève.»

En trois ans de travail, D'Arcy O'Connor a pu retrouver une douzaine d'anciens membres du gang et rencontrer autant d'ex-policiers. Ses entrevues ont été complétées par les recherches en archives de sa fille Miranda, qui cosigne le livre. Entre autres bons coups, l'escouade père-fille a trouvé de nouvelles informations sur le fameux vol d'un camion de la Brink's, qui a rapporté près de 3 millions à ses auteurs en 1976 - et qui fut en son temps considéré comme le «crime du siècle» en Amérique.

Fait cocasse: D'Arcy O'Connor avait déjà bien connu plusieurs membres de la mafia irlandaise. De 1979 à 1982, fraîchement arrivé de New York, le journaliste a enseigné au pénitencier Leclerc. Plusieurs de ses «élèves» faisaient partie du West End Gang. «Ils m'écrivaient des histoires complètement folles sur des vols de banque, des fusillades et des évasions. Je pensais que c'était de la fiction. Jusqu'à ce que je réalise que ces histoires parlaient d'eux.»

Parmi eux, un certain Rory Shayne a capté son attention. D'Arcy O'Connor se souvient encore de l'immense balafre qui lui allait de la joue au menton - cadeau de sa mère, qui avait tenté de l'assassiner quand il avait 4 ans. Trente ans plus tard, il reste fasciné par le personnage et rêve de lui consacrer un documentaire. Peine perdue; le «braqueur en hélicoptère» a complètement disparu de la carte.

«Je l'ai toujours aimé, dit-il. Il était plus créatif que les autres...»

Photo: Wiley

Le livre Montreal's Irish Mafia de D'Arcy O'Connor.