Attendu d'ici quelques mois, un jugement de la Cour suprême pourrait bien décriminaliser la prostitution au Canada. Serait-ce la solution pour mettre un frein à l'exploitation sexuelle et à la traite des femmes ? Certains le croient. D'autres prédisent au contraire qu'un tel jugement n'aura pour effet que d'empirer les choses.

Pour clore ce dossier spécial, voici cinq pistes de solution, proposées par des gens du milieu, pour mieux lutter contre la traite.

Décriminaliser la prostitution

« La décriminalisation permettrait d'améliorer les conditions de travail dans l'industrie du sexe. Les policiers cesseraient d'arrêter les travailleuses dans la rue et de faire des descentes dans les maisons de débauche. Leur priorité changerait. Ils pourraient se concentrer sur la lutte contre le gangstérisme et le proxénétisme avec coercition. Débarrassée de son statut criminel, une masseuse qui se ferait agresser dans son salon pourrait beaucoup plus facilement rapporter cette violence à la police, sans craindre que ce soit elle qui se retrouve derrière les barreaux.  »

-Émilie Laliberté, directrice générale de l'organisme Stella, qui défend les intérêts des travailleuses du sexe.

S'inspirer du modèle nordique

« Penser que la traite ne se produira pas là où la prostitution est légalisée, c'est un mythe, et c'est un mythe dangereux. On connaît par exemple la prévalence de la traite à Amsterdam. Mieux vaut suivre le modèle de la Suède, qui ne cible plus les prostituées, mais qui pénalise les clients et les proxénètes. Si la Cour suprême décriminalise le proxénétisme et la tenue de maison de débauche, les policiers n'auront même plus ces outils-là pour lutter contre les trafiquants. Ça sera le "free for all", une vraie catastrophe. »

-Sandrine Ricci, auteure de l'étude Traite des femmes : entre déni et invisibilité, UQAM.

Mener plus d'enquêtes policières

« Honnêtement, la décriminalisation aurait très peu d'impact. Le marché est déjà saturé. Montréal est déjà une destination de tourisme sexuel. À mon avis, le jugement de la Cour suprême n'y changera rien. Forcer quelqu'un à se prostituer, c'est illégal et cela va le rester. Le milieu de la prostitution attire toutes sortes de gens. Des clients, mais aussi des vendeurs de drogue, parce que les filles ont besoin de consommer pour continuer. Cela attire le crime organisé, des membres de gangs, des prédateurs sexuels. Tout ce beau monde forme une soupe. C'est dangereux, et cela va le rester. »

-Dominic Monchamp, sergent-détective au SPVM

Confronter les clients à la souffrance des victimes

« Le discours sur la décriminalisation m'inquiète. On ne peut pas légaliser une pratique quand on sait ce que cela implique de la violence envers des êtres humains. Je connais une fille dont les bras sont couverts de cicatrices. Elle se coupe après chaque client. Pour elle, chaque cicatrice est un échec. Il y a des filles qui reviennent chez nous, après s'être prostituées, et qui souffrent d'un syndrome post-traumatique. Il faut conscientiser les gens. Quand les clients seront confrontés à la douleur de ces filles, les choses vont changer. »

-Lynn Dion, consultante pour les centres de la jeunesse Batshaw en exploitation sexuelle des mineurs.

S'attaquer au nerf de la guerre

« De plus en plus de gars de gang délaissent la drogue pour se spécialiser dans la prostitution. Il faut que la traite cesse d'être payante pour eux. On doit pouvoir les attraper plus facilement, leur imposer des peines plus élevées, confisquer leurs biens. Mon projet de loi renverse le fardeau de la preuve [l'accusé devra prouver qu'il n'exploitait pas la victime] et introduit le concept de peines consécutives. Pour l'instant, le trafic de drogue est puni plus sévèrement que la traite d'êtres humains ; ça n'a pas de sens. »

-La députée fédérale Maria Mourani, auteure d'un projet de loi visant à resserrer les dispositions du Code criminel sur l'exploitation et la traite. Le texte sera présenté au Sénat cet automne.