Pendant quelques mois en 2011, les enquêteurs de la GRC qui interceptaient à leur insu les nouveaux chefs de la mafia montréalaise ont assisté malgré eux en direct à l'élaboration minutieuse d'un complot de meurtre qui marquera l'histoire criminelle canadienne. La levée récente d'un interdit de publication qui frappait toute la preuve de ce complot nous permet de dévoiler les dessous de cette affaire retentissante.

Après s'être attaqués au clan Rizzuto lors de l'enquête Colisée au début des années 2000, les enquêteurs de la GRC déclenchent en 2011 l'enquête Clemenza, qui cible les nouveaux hommes forts de la mafia montréalaise, Raynald Desjardins et ses alliés. Les enquêteurs interceptent les messages des suspects et constatent que les clans Desjardins et Montagna, qui s'étaient alliés en 2009-2010 pour renverser les Rizzuto, commencent à se disputer au sujet des paris sportifs.

LE COMPLOT

4 août 2011

Mirarchi : « J'ai vu les gars de paris aujourd'hui. Ils sont déçus de ne pouvoir faire affaire avec nous. Il [Montagna] veut tout, il est fou. »

9 août

Desjardins à Mirarchi : « Il croit que par l'intimidation, il aura tout. Je vais le rencontrer dès mon retour. Il ne nous marchera pas dessus. »

30 août

Mirarchi annonce à son mentor que l'un de leurs propres hommes, Calogero Milioto, a reçu une offre pour éliminer Desjardins.

Mirarchi : « Tiens-toi prêt quand tu vas entendre cela. Les cheveux vont te dresser sur la tête. »

« Ils lui ont demandé de me faire ! Lol », répond Desjardins, avec un grain de sel.

Le conflit s'envenime. Les hommes de Desjardins commencent à traquer ceux de Montagna à coups de filatures et de surveillances. Plus tard, avec l'aide de taupes, ils vont même copier et décrypter les messages du clan adverse.

6 septembre 

Desjardins à Mirarchi : « Peux tu mettre un GPS dans le véhicule de [la] femme [de Montagna] ? »

8 septembre

Montagna envoie un message à Desjardins dans lequel il lui annonce que l'un des frères Arcuri a été victime d'une tentative de meurtre quatre jours auparavant.

« Je ne peux croire que cette maudite famille essaie encore. Il [Vito Rizzuto] a envoyé un message de l'intérieur qu'il se lancera aux trousses de chacun d'entre nous », écrit Montagna. Desjardins transfère le message à Mirarchi.

« Il met ça sur le dos de Vito ! Je ne le crois pas », écrit Desjardins.

16 septembre 

Desjardins est victime d'une tentative de meurtre à Laval. Dans les minutes qui suivent, il fait un appel de 29 secondes à Domenico Arcuri, allié de Montagna.

« Je sais que c'est vous. Vous m'avez manqué, mais je ne vous manquerai pas », dit-il.

Arcuri envoie un message à Raynald Desjardins pour lui dire que lui et Montagna veulent le rencontrer d'urgence. Desjardins envoie son homme de confiance, Giuseppe Bertolo.

« Ils disent que ce n'est pas eux. Qu'ils ont des preuves d'où ça vient : la famille [Rizzuto]. Apparemment, ils sont de retour dans le portrait », écrit ensuite Bertolo.

« Lol, ils auraient pu trouver quelque chose de meilleur que ça », répond Mirarchi.

22 septembre

Desjardins est persuadé que l'attentat contre lui vient de Montagna. Il a reçu un message de Montagna et écrit à Mirarchi : 

« Il m'a écrit une lettre d'amour comme quoi ce n'est pas lui. La prochaine fois sera la dernière. »

23 septembre

Mirarchi écrit à Desjardins : 

« Si nous pouvons avoir Luigi ou Mario [surnoms des frères Arcuri], ce serait bien. Ensuite, ils vont faire plusieurs erreurs. »

15 novembre

Desjardins reçoit un message de l'un de ses hommes qu'il transfère à Mirarchi : 

« Tinman [Montagna] et Frosty [un des frères Arcuri] croient que vous allez vous venger pour ce qui est arrivé à Old [Desjardins] », dit le message.

« Il est temps de fermer le livre. L'histoire devient trop longue », dit Mirarchi.

Le même jour, Pietro Magistrale (un coaccusé) file Montagna. Il écrit à Mirarchi : 

« On l'a vu déposer les enfants. Il a ensuite effectué de folles manoeuvres, tellement que nous sommes incapables de le retracer dans ce trafic fou. »

16 novembre

Mirarchi à Desjardins : 

« Ces types deviennent dangereux. Mickey [Montagna] a dit à Turkey [Moreno Gallo, allié de Montagna] que tout est correct entre lui et toi. Turkey lui donne des armes. Mickey dit qu'il fait venir des gars de New York pour l'aider ».

20 novembre

Desjardins à Mirarchi : 

« J'espère que tout sera terminé cette semaine. »

« Moi aussi », répond Mirarchi.

21 novembre

Desjardins à Mirarchi : 

« J'ai l'endroit. J [Jack Simpson] se sent plus à l'aise chez lui. »

24 novembre

8 h 44 : Salvatore Montagna arrive à l'hôtel Champlain et gare sa voiture dans le stationnement intérieur. Il prend le métro à la station Bonaventure et descend à la station Langelier à 9 h 31. Jack Simpson le prend à bord de son pick-up F-150 blanc. 

9 h 54 : Le véhicule prend la rue île Vaudry, située sur l'île aux Trésors, à Charlemagne.

10 h : Un premier témoin appelle au 911 après avoir entendu des coups de feu. 

10 h 03 : Desjardins écrit à Simpson : « Tu l'as fait ? » « Oui », répond Simpson. Desjardins annonce la nouvelle à Mirarchi. « Parfait », répond ce dernier.

Quelques minutes plus tard, des patrouilleurs de la police de Repentigny découvrent le corps de Montagna. Après avoir été atteint dans la maison de Jack Simpson, il a couru vers la rivière L'Assomption, l'a traversée et s'est effondré sur l'autre rive. Il ne porte pas de chaussures. Une balle est retrouvée intacte près de son corps. Il a été atteint par trois balles et l'autopsie révélera qu'il est mort au passage d'un projectile tiré au dos, du côté gauche. Dans la maison, aucune trace de désordre hormis une trace de sang sur le barillet de la porte d'entrée. 

25 novembre 

À 20 h 19, deux enquêteurs de la SQ rendent visite à Desjardins dans sa maison de Laval pour lui parler du meurtre. « Il était nerveux. Il s'est mis à nettoyer sa table à manger qui était déjà propre », écrit un sergent dans un rapport. Desjardins nie : « Je suis dans la construction, pas dans la destruction. » Il prévient les policiers que s'ils veulent l'arrêter, il part en vacances le 26 décembre. Il leur demande de l'appeler avant, qu'il va se rendre, pour qu'ils ne défoncent pas la porte.

27 novembre 

Trois jours après le meurtre, Desjardins et Mirarchi ont une conversation qui laisse croire qu'ils veulent s'en prendre aux alliés de Montagna.

« Turkey [Gallo] est la priorité, pas Mario [un des frères Arcuri] », écrit Desjardins.

« Oui, ce sera rapide », répond Mirarchi.

13 décembre

Antonio Pietrantonio, autre allié de Montagna, est victime d'une tentative de meurtre dans l'entrée d'un restaurant de la rue Jarry, à Montréal. Un membre du clan Desjardins l'espionnait vraisemblablement lorsque le crime a été commis, à sa surprise. 

« C'est arrivé juste devant la porte. La police ne laisse personne sortir. Si jamais ils le fouillent, ils vont trouver les trois téléphones qu'il a sur lui », écrit un complice inquiet du clan Desjardins.

La police croit que cet attentat pourrait être l'oeuvre des Siciliens, que l'on croyait finis, et qui ont vraisemblablement profité du conflit Desjardins-Montagna pour renaître de leurs cendres et préparer le retour de Vito Rizzuto.

20 décembre

Raynald Desjardins, Vittorio Mirarchi et des membres de leur garde rapprochée sont arrêtés pour le meurtre de Montagna. Les enquêteurs de la GRC ont remis clés en main la preuve à leurs collègues de la SQ. Le dossier préparé minutieusement par la GRC et qui compile toutes les conversations incriminantes compte près de 3000 pages.

***

ÉPILOGUE

Après Raynald Desjardins l'an dernier, tous les autres coaccusés ont plaidé coupable en mars à une accusation réduite de complot pour le meurtre de Montagna. Les sentences seront connues l'automne prochain.

Les coaccusés sont Raynald Desjardins, Vittorio Mirarchi, Pietro Magistrale (64 ans), Jack Simpson (74 ans), Calogero Milioto (45 ans), Felice Racaniello (31 ans), Steven Fracas (31 ans) et Steven D'Addario (38 ans).