Le chemin facile si on veut analyser le vide que représente le départ soudain d'un homme très respecté de tous les criminels et prédire ce qui risque maintenant d'arriver, ce serait de conclure que ce sera bientôt la guerre à Montréal. C'est une éventualité que l'on ne peut écarter. Vito Rizzuto dirigeait le monde interlope montréalais d'une main de fer. Lui parti, bien des ennemis qui le craignaient peuvent respirer plus à l'aise et retrouver un brin d'une hardiesse temporairement éclipsée. D'autres, qui avaient quitté la province parce que leurs noms figuraient sur la liste noire du parrain, pourraient être tentés de revenir et de reprendre le terrain perdu.

Il y aura probablement des règlements de comptes qui suivront, comme ce fut toujours le cas d'ailleurs, même à la belle époque du règne de Vito Rizzuto avant son arrestation en 2004. Mais ce ne sera peut-être pas le bain de sang appréhendé.

«Les criminels vont se demander: qu'est-ce que Vito voulait et qu'aurait-il fait?», nous a confié un vieux routier qui connaît bien le milieu.

Depuis le début des années 2000, les grandes organisations criminelles sont continuellement frappés par la police et sont affaiblies, si bien qu'à l'heure actuelle, aucune n'a les ressources pour aspirer à la tête de la pyramide du crime organisé à Montréal.

Les Italiens n'ont plus de soldats sur le terrain, et leurs lieutenants les plus influents sont toujours derrière les barreaux depuis Colisée. Même chose pour les Hells Angels, qui ne sont toujours pas complètement remis de l'opération SharQc. Les gangs de rue sont désorganisés et en proie à un conflit de générations. Le clan Matticks a perdu les principaux représentants de sa relève. Et on en passe. Les organisations criminelles ne sont pas dénuées d'intelligence et savent qu'elles ont intérêt à s'entendre pour continuer. Les projecteurs de la police, ce n'est jamais très bon pour les affaires. Avec le départ de Vito Rizzuto, ce sont plusieurs portes qui s'entrouvrent. On ne peut exclure que la mafia calabraise de l'Ontario mette le pied dans l'une d'elles.

Pile ou face

Si prédire ce qui arrivera avec le départ de Vito Rizzuto, c'est un peu comme jouer à pile ou face, une chose est sûre: la mafia sicilienne semble avoir fait la même erreur que ses prédécesseurs et d'autres organisations criminelles comme Hells Angels, qui n'avaient pas planifié l'après Maurice Boucher.

Ce n'est pas qu'une vengeance inachevée que Vito Rizzuto laisse en héritage. Une relève également. À court terme, du moins, personne ne semble être prêt à chausser ses gros souliers. «C'est bien beau être respecté, mais un parrain doit également susciter la crainte», nous a confié une source. La police avait ciblé son fils aîné, Nicolo, comme le dauphin du parrain, mais ce dernier a été assassiné en décembre 2009. La mafia a toujours été une affaire de famille à Montréal, mais il se peut que cette tradition s'arrête avec Vito Rizzuto. Comme bien d'autres traditions, d'ailleurs. «La mafia, telle qu'on la connaît, c'est fini à Montréal», nous a dit récemment un policier aguerri. En effet, la jeune génération de mafieux n'a pas les mêmes valeurs de discrétion, de simplicité et de prudence que ses aînés. C'est ce qui pourrait faire tomber la pièce sur le mauvais côté.