Que peut faire la Ville de Montréal devant des taudis comme ceux que nous avons visités? La Ville a des outils, et elle s'en sert, plaide le responsable de l'habitation au comité exécutif, Russell Copeman. Ainsi, 84% des non-conformités signalées par la ville centre aux propriétaires depuis sept ans ont été réglées.

«Il y a des propriétaires récalcitrants, c'est un fait. Certains arrivent pour payer leurs amendes avec de l'argent comptant dans des sacs, dit M. Copeman. En campagne électorale, j'ai visité des logements qui m'ont choqué, qui m'ont levé le coeur, vous pouvez employer tous les adjectifs que vous voulez. Mais dans une ville où on compte 760 000 logements, on va toujours trouver des taudis.»

Celui qui a fait visiter des taudis à Russell Copeman, c'est Claude Dagneau, de l'OEIL de Côte-des-Neiges, qui arpente les immeubles insalubres de ce quartier depuis plus de 30 ans. «Les inspecteurs des arrondissements n'ont même pas d'équipements pour déceler les moisissures. C'est comme si on demandait à un menuisier de travailler sans galon à mesurer! Cette attitude, c'est celle de gens qui ne veulent pas trouver les problèmes.»

Car le problème de fond pour Montréal, croit M. Dagneau, c'est un parc locatif de plus en plus vieillissant. «Il n'y a aucun logement qui se construit à Montréal. Les promoteurs ne font que des condos. Les logements vieillissent. Et si on ne les entretient pas, ils continuent de se dégrader.»

«Il y a un défi majeur avec le parc locatif de Montréal», confirme Douglas Alford, architecte pour le Groupe CDH, qui rénove des immeubles insalubres à Montréal depuis 30 ans. «Si les propriétaires savaient quels travaux ils ont à faire sur l'immeuble qu'ils veulent acheter, les prix baisseraient. Dramatiquement.»

La Ville de Montréal n'arrivera pas seule à venir à bout du problème des moisissures, croit Russell Copeman. «Il va falloir demander de l'aide d'un autre palier de gouvernement, via des programmes de rénovation, par exemple.»

La cavalerie à l'oeuvre

En 2007, la Ville s'est dotée d'une équipe de super-inspecteurs, qui travaillent pour la ville centre et n'ont pas besoin d'attendre les plaintes pour inspecter un immeuble. C'est la «cavalerie», dit Russell Copeman. «Et quand on entre dans un immeuble, on fait l'immeuble au complet», explique Danielle Cécile, directrice de l'habitation à la Ville de Montréal.

Mais Claude Dagneau demeure dubitatif. Les super-inspecteurs ont arpenté les rues Goyer et Bedford, dans Côte-des-Neiges, afin de réaliser des inspections préventives dans ce secteur traditionnellement problématique. Même après leur passage, de nombreux problèmes d'insalubrité demeurent, comme a pu le constater La Presse à l'issue de plusieurs visites dans le secteur.

Claude Dagneau croit que la Ville n'est pas assez sévère. «L'administration Tremblay a été la pire sur l'application des règlements en matière de logement. On a stagné pendant 12 ans. Et quand ça stagne, le système devient médiocre. Une certaine culture s'installe.»

Harold Leavey, spécialiste en gestion parasitaire chez Maheu Extermination, acquiesce. «Ça fait 30 ans que je suis dans le métier. Les problèmes d'insalubrité n'ont pas été multipliés par deux, mais par 20!» Les 25 techniciens qui travaillent sous ses ordres en ont plein les bras. «Ils tombent sur des logements insalubres tous les jours. Avant, c'était aux deux semaines», calcule-t-il. Résultat: l'équipe d'Harold Leavey découvre souvent des scènes d'horreur. «Ce n'est plus rare de voir des logements contenant entre 10 000 et 100 000 punaises.»

Pourtant, à la Ville de Montréal, on considère que le nombre de logements infestés par les punaises est stable, à 2,5%. Les exterminateurs sont tenus d'inscrire chaque action dans un immeuble dans un registre. Mais plusieurs comités logements croient que les exterminateurs sont loin de tous se conformer à cette règle.

La Ville montre-t-elle assez les crocs? «Devant les tribunaux, on est facilement accusés de harceler les propriétaires, rétorque Danielle Cécile. On a souvent le rôle du méchant devant un juge, pas celui du superhéros.»

Dès que le dossier est judiciarisé, plaide Mme Cécile, «le propriétaire arrête les travaux. Et si ça prend huit mois pour aller devant le juge, les travaux ne sont pas faits pendant ce temps-là». «Moi, mon objectif, c'est que les travaux se réalisent.» Et Russell Copeman ajoute: «C'est frustrant, mais nos pouvoirs sont limités par l'État de droit».

Les recours de la Ville

Que peut faire la Ville de Montréal pour semoncer les mauvais propriétaires et les forcer à réaliser les travaux qui s'imposent? La municipalité a de nombreux outils à sa disposition, font valoir les autorités. Des outils que la Ville n'utilise pas assez, dénoncent les groupes de défense des locataires. Chose certaine, la Ville aura en main, d'ici un an, un premier portrait de la situation de l'insalubrité sur son territoire.

L'avis d'infraction

À la suite d'avis de non-conformité en matière de salubrité, les inspecteurs peuvent donner des avis d'infraction. C'est une contravention, en quelque sorte, qui doit être payée par le propriétaire négligent. Depuis 2007, 2306 dossiers se sont rendus devant la cour municipale. La somme des amendes perçues par la Ville s'élève à 703 000$. Les dossiers judiciarisés concernent une vingtaine de propriétaires, dont seulement quatre cumulent 95% des amendes.

L'évacuation de l'immeuble

«C'est pas l'arme nucléaire, mais pas loin», dit Russell Copeman. «On prive tout simplement le propriétaire de ses loyers.» La Ville de Montréal ne comptabilise pas les évacuations qui se déroulent sur son territoire. «Une évacuation, ce n'est pas sans conséquences: il faut aider les gens à se reloger ailleurs», précise M. Copeman.

L'avis de détérioration

C'est une note ajoutée sur le titre de la propriété, qui indique que l'immeuble est dans un état de détérioration majeur. «Donc un acheteur éventuel le verrait», précise Danielle Cécile, directrice de l'habitation à la Ville. L'outil date de 2011. Il a été utilisé pour trois immeubles seulement.

Les travaux aux frais du propriétaire

C'est l'arme ultime, qui n'a été utilisée que trois fois dans l'histoire de la Ville, dont dans le dossier noir du désormais célèbre Claudio di Gianbattista. La Ville a fait réaliser des travaux d'urgence de 90 000$ dans un de ses immeubles. La Ville a recouvré la quasi-totalité de ces sommes. Néanmoins, l'adjoint de Russell Copeman, Jean-Claude Bohémien, estime qu'il s'agit «d'argent jeté par les fenêtres, parce que ça ne change pas la qualité du propriétaire ni ses pratiques».

La déclaration d'inaptitude

C'est une piste actuellement explorée par la directrice de l'habitation avec le contentieux de la Ville. «Est-ce qu'on pourrait rendre des propriétaires inaptes à posséder des immeubles?», se demande Danielle Cécile. Mais comme le droit de propriété est fondamental, les tribunaux pourraient invalider une telle disposition.