L'examen des dépenses de 146 villes du Québec, réclamé par l'Agence du revenu du Canada, démontre la nécessité de tenir une enquête publique sur l'octroi de contrats et autres malversations dans le secteur de la construction, a indiqué jeudi la Fédération québécoise des municipalités (FQM).

Cette requête sans précédent, en attente d'une autorisation de la Cour fédérale, est un élément nouveau s'ajoutant aux soupçons qui planent depuis deux ans sur le milieu de la construction au Québec, a déclaré dans une entrevue le président de la FQM, Bernard Généreux.

«Ça contribue à entretenir qu'il y a quelque chose qui se passe qui n'est pas nécessairement très «clean', a-t-il dit. Cette opération vient, de par sa nature, ajouter au climat de suspicion qu'il peut y avoir dans toute cette opération de gestion de contrats.»

Un reportage publié jeudi par le Globe and Mail rapporte que l'ARC réclamera lundi l'autorisation de la Cour fédérale pour accéder à des documents reliés aux dépenses des municipalités. L'objectif est de recouper les informations pour déterminer si ces sous-traitants, individus ou entreprises ont dissimulé des revenus au fisc.

Selon un affidavit déposé devant le tribunal, l'agence fédérale veut que chaque municipalité fournisse un CD répertoriant tous les montants autres que les salaires qui ont été payés entre 2007 et 2010, avec le nom des destinataires, leur adresse, numéro de téléphone et numéro d'assurance sociale ou leur numéro d'entreprise.

M. Généreux a affirmé que l'opération pourra peut-être identifier des entreprises qui auraient contourné les règles fiscales, sans toutefois disposer du portrait d'ensemble d'une enquête publique.

«On est dans le cas par cas, a-t-il dit. On va débusquer des situations, des individus, des firmes qui auraient fraudé ou commis des gestes illégaux. Mais jamais on va dans le système et ça, c'est l'enquête publique qui le permettrait.»

Le président de l'Union des municipalités du Québec, Éric Forest, s'est étonné jeudi que l'ARC passe par le tribunal pour obtenir ces informations.

Sans dire que la procédure est abusive, M. Forest a affirmé que les municipalités auraient été disposées à transmettre ces informations sur demande, sans contrainte judiciaire.

«Je ne connais pas de municipalité que l'Agence du revenu aurait interpellé et qui aurait refusé de collaborer, a-t-il dit. On le fait sur une base permanente avec Revenu Québec. Cette procédure est un peu surprenante.»

M. Forest a attribué cette façon de faire aux règles internes de l'agence fédérale, soulignant toutefois que cela donne le ton.

«Un libellé de cour, ce n'est pas nécessairement une lettre qui s'exprime de façon amicale, a-t-il dit. C'est une ordonnance de cour.»

Mais M. Forest a affirmé que les municipalités sont sollicitées par l'agence fédérale non pas en raison de soupçons concernant leur gestion mais plutôt parce qu'elles disposent d'informations qui permettront des recoupements avec les déclarations fiscales de leurs fournisseurs.

«Compte-tenu qu'on procède par des actes publics de résolution, que le décaissement fait l'objet également de bordereaux de dépenses, on est une mine de renseignements privilégiés pour l'Agence du revenu», a-t-il dit.

Le directeur du Programme de lutte contre la criminalité financière de l'Université de Sherbrooke, Messaoud Abda, a expliqué que l'ARC procède ainsi pour s'assurer d'obtenir tous les documents nécessaires.

«Je pense que cette fois-ci, les soupçons sont assez lourds pour qu'on passe par le système judiciaire et légal pour être sûrs qu'il y a obligation de donner tout le détail», a-t-il dit.

M. Abda croit que la façon de procéder de l'ARC démontre que leur enquête est probablement très avancée et qu'il ne reste qu'à aller chercher les preuves nécessaires.

M. Abda doute que l'agence fédérale se soit lancée dans une expédition de pêche, le grand nombre de villes sollicitées ne servant probablement qu'à mieux dissimuler l'endroit exact où ses enquêteurs veulent frapper.

«La justice n'autoriserait pas une opération de pêche, a-t-il dit. 'Donnez-moi la possibilité d'aller voir si les gens ont quelque chose à se reprocher', aucun juge n'accepterait ça. Il faut lui prouver qu'il y a motif à enquête, qu'il y a danger et une possibilité de sanction ou de récupérer des deniers publics.»