Des policiers militaires canadiens en mission en Afghanistan auraient instauré un climat de terreur dans la prison de la base de Kandahar, avait révélé La Presse en mai 2015.

Les enquêteurs chargés de faire la lumière sur les allégations de mauvais traitements qui auraient été infligés à des détenus afghans par des membres de la police militaire en Afghanistan en 2010-2011 n'ont toujours pas réussi à obtenir les documents qu'ils réclament de l'état-major de la police militaire huit mois après le début de leur enquête.

Les enquêteurs de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire (CPPM) ont exigé à deux reprises à l'état-major de la police militaire de leur remettre tous les dossiers pertinents liés à ces événements - une première demande a été soumise le 6 novembre 2015 et une deuxième a été acheminée le 6 janvier 2016 -, mais ils se sont butés à un manque de collaboration de la part des Forces armées canadiennes jusqu'ici, selon des informations obtenues par La Presse.

Après plusieurs semaines de pourparlers, il appert que les enquêteurs de la CPPM recevront ce qu'ils recherchent. Un porte-parole de la CPPM a indiqué hier que le bureau du grand prévôt des Forces canadiennes s'était engagé à fournir à la Commission les dossiers au plus tard demain. Ce changement de ton est survenu après que La Presse eut posé des questions au sujet des demandes de la Commission.

« Une fois que la divulgation sera reçue, la Commission étudiera le matériel et, si d'autres documents ou enregistrements sont requis pour effectuer son enquête d'intérêt public, ils seront demandés au bureau du grand prévôt des Forces canadiennes », a indiqué M. Tansey.

La CPPM a annoncé la tenue de cette enquête le 5 novembre, 24 heures après l'arrivée au pouvoir des libéraux de Justin Trudeau, après que La Presse eut révélé en mai 2015 que des policiers militaires canadiens en mission en Afghanistan auraient instauré un climat de terreur dans la prison de la base de Kandahar sans jamais être sanctionnés par le ministère de la Défense. Les gestes répréhensibles se seraient produits de décembre 2010 à janvier 2011, tandis que la mission de combat des soldats canadiens tirait à sa fin en Afghanistan.

Une quarantaine de prisonniers afghans se trouvaient alors au centre de détention de la base militaire de Kandahar. Suivant les instructions de leurs supérieurs, des policiers militaires canadiens auraient effectué des « entrées dynamiques » dans les cellules. Leur objectif était de contraindre les prisonniers à dévoiler des informations pouvant permettre aux troupes canadiennes et à leurs alliés occidentaux de contrer les menaces des insurgés talibans ou de trouver des caches d'armes.

Les incursions des policiers militaires ont été filmées, les cellules du centre de détention de Kandahar étant munies de caméras de surveillance, selon nos informations. Les enquêteurs de la CPPM souhaitent mettre la main sur ces vidéos, entre autres choses, ainsi que sur les enregistrements des dépositions qui ont été faites par des membres de la police militaire relativement à ces événements.

« La Commission a été informée que la divulgation qui sera fournie inclura tous les documents reliés à l'enquête effectuée par le Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) concernant les incidents en question, y compris les enregistrements des interrogatoires des témoins, ainsi que les photographies et enregistrements vidéo ou audiovisuels », a précisé Michael Tansey.

« INCIDENCE POSSIBLE SUR LA RÉPUTATION » DES FORCES

En vertu du droit international humanitaire, la torture et les traitements cruels ou dégradants sont formellement interdits. L'article 3 commun aux conventions de Genève prohibe, en tout temps et en tout lieu, « les atteintes portées à la vie et à l'intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices », entre autres choses. Il prohibe aussi « les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ».

Dans son rapport annuel déposé au Parlement le mois dernier, la présidente de la CPPM, Hilary McCormack, a dit juger impératif d'aller au fond de cette affaire, car les allégations « laissent entrevoir un incident potentiellement grave qui pourrait avoir une incidence possible sur la réputation des FAC et sur les relations internationales du Canada ».

Elle a aussi noté que la CPPM avait reçu une lettre de plainte anonyme décrivant les mêmes événements qui ont été rapportés dans La Presse. « La plainte allègue qu'entre décembre 2010 et janvier 2011, le commandant de la Compagnie de Police militaire stationnée à l'aérodrome de Kandahar a mené des exercices dans le but de "terroriser" les détenus », a-t-elle précisé dans son rapport remis aux parlementaires.

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ENQUÊTE PUBLIQUE RÉCLAMÉE

Une coalition de défenseurs des droits de la personne, d'anciens et d'actuels parlementaires ainsi que de diplomates demande au gouvernement Trudeau de lancer une enquête publique au sujet du traitement des détenus afghans durant la mission canadienne en Afghanistan. Le groupe a diffusé une lettre ouverte adressée au premier ministre Justin Trudeau, affirmant qu'il était temps pour lui de faire ce que le gouvernement précédent refusait : organiser une enquête complète sur les politiques et les pratiques entourant le transfert aux autorités locales des Afghans arrêtés par des soldats canadiens déployés dans la région de Kandahar. En 2007, des allégations selon lesquelles ces détenus auraient été maltraités ont fait surface.

- Avec La Presse Canadienne