Des policiers militaires canadiens en mission en Afghanistan ont instauré un climat de terreur dans la prison de la base de Kandahar sans jamais être sanctionnés par le ministère de la Défense, a appris La Presse.

Selon nos informations obtenues après quatre mois d'enquête auprès de sources gouvernementales canadiennes, les faits se sont produits de décembre 2010 à janvier 2011, tandis que la mission de combat des soldats canadiens tirait à sa fin en Afghanistan.

Une quarantaine de prisonniers afghans se trouvaient alors au centre de détention de la base militaire de Kandahar. Suivant les instructions de leurs supérieurs, des policiers militaires canadiens ont effectué des «entrées dynamiques» dans les cellules. Leur objectif était de contraindre les prisonniers à dévoiler des informations pouvant permettre aux troupes canadiennes et à leurs alliés occidentaux de contrer les menaces des insurgés talibans ou de trouver des caches d'armes.

Les incursions des policiers militaires ont été filmées, les cellules du centre de détention de Kandahar étant munies de caméras de surveillance, selon nos informations.

En vertu du droit international humanitaire, la torture, les traitements cruels ou dégradants sont formellement interdits. L'article 3 commun aux Conventions de Genève prohibe, en tout temps et en tout lieu, «les atteintes portées à la vie et à l'intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices», entre autres choses. Il prohibe aussi «les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants».

Récits des faits

Selon nos informations, au début de l'opération, les policiers militaires ont fait irruption dans des cellules inoccupées, tout juste à côté des cellules abritant les prisonniers afghans.

En moyenne, on comptait de six à huit prisonniers par cellules. Le but était de créer graduellement un climat de haute tension. Les policiers militaires effectuaient leur entrée dans le centre de détention, sans avertissement, à tout moment de la journée et en hurlant afin de maximiser l'impact et l'effet de surprise.

Mais après une dizaine d'incursions sans obtenir d'informations jugées cruciales, les policiers militaires ont modifié leur stratégie, à la demande de leurs supérieurs. Un soir de janvier 2011, ils ont fait irruption dans les cellules habitées en portant leur casque militaire et munis d'un bouclier et d'un bâton. Certains policiers étaient armés. Ils ont plaqué des prisonniers au sol ou contre le mur tout en poussant des cris. Le climat de terreur a alors atteint son paroxysme: certains prisonniers ont été terrifiés au point de déféquer et d'uriner dans leurs vêtements.

Aucune de ces informations n'avait jusqu'ici été rendue publique.

Une première plainte

La Presse a appris qu'une plainte formelle avait été acheminée à l'époque au Service national des enquêtes (SNE) des Forces canadiennes et que les incursions dans les cellules avaient pris fin par la suite. Une équipe de cinq enquêteurs du SNE a examiné ces événements. Leur enquête a duré plus de deux mois. Les enquêteurs ont rencontré au moins une trentaine de membres de la police militaire à la base de Kandahar. Leurs dépositions ont été enregistrées.

Cette enquête n'a donné lieu à aucune accusation. Des accusations auraient entraîné la tenue d'une cour martiale - un processus qui a lieu en public.

Le porte-parole du SNE, le major Yves Desbiens, a confirmé que le SNE a mené une enquête dans la foulée des incidents survenus au centre de détention de Kandahar. «Le 30 janvier 2011, le Service national des enquêtes des Forces armées a entrepris une enquête après que des rapports de mauvaise conduite durant des exercices de la police militaire au centre de détention de Kandahar eurent été portés à son attention. La police militaire des Forces armées prend les allégations de mauvaise conduite au sérieux», a dit le major Desbiens.

«Le 18 avril 2011, après une enquête approfondie et complète, le SNE a conclu que les preuves ne justifiaient pas le dépôt d'accusation. Les détails précis de cette enquête sont protégés par la Loi sur la vie privée et ne peuvent donc être divulgués», a-t-il ajouté dans un courriel.

Peter MacKay était ministre de la Défense à l'époque. Sous le couvert de l'anonymat, une source gouvernementale proche de M. MacKay, qui est aujourd'hui ministre de la Justice, a soutenu que ce dernier «n'était pas au courant» de toute cette affaire.

Nouvelle plainte

La Presse a aussi appris que la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire (CPPM) a été saisie d'une nouvelle plainte en février dernier relativement à ces incidents survenus à la base militaire de Kandahar il y a quatre ans. La CPPM a reçu la liste des noms des principaux acteurs de ces événements, y compris l'identité des supérieurs de la police militaire qui auraient donné les ordres de terroriser les détenus ainsi que les détails précis des événements. La plainte a été faite de manière anonyme. La CPPM donne cette possibilité aux individus afin de faciliter la dénonciation de gestes répréhensibles qui pourraient être commis par des membres des Forces armées canadiennes.

La CPPM a toutefois refusé de confirmer ou de nier qu'elle avait reçu une telle plainte. «La Commission ne confirme pas, ni ne nie la réception de plaintes. La Commission informe le public d'une plainte seulement dans les cas pour lesquels le président lance une enquête d'intérêt public ou une audience», a indiqué par courriel Karen Flanagan McCarthy, agente de communications de la CPPM.