De 2008 à 2011, le Canada a construit, agrandi ou réparé 50 écoles dans la province de Kandahar, en Afghanistan. En lançant cet ambitieux projet, le gouvernement Harper a voulu laisser sa marque et ramener les filles à l'école. Sauf qu'aujourd'hui, les écoles sont en très mauvais état. Pour les Afghans, les Canadiens sont des « incompétents ». À la veille du retrait définitif des troupes canadiennes d'Afghanistan, l'heure est au bilan. La Presse s'est rendue à Kandahar. Enquête sur une opération ratée.

Écoles en décrépitude: la réponse du gouvernement Harper

Salles de classe qui suintent l'humidité, murs qui pèlent, toits qui coulent, ciment qui fissure, escaliers qui ne mènent nulle part. Les écoles construites par le Canada dans la province de Kandahar depuis 2008 sont en très mauvais état. Construites avec des matériaux de piètre qualité, elles se détériorent à la vitesse grand V. Et la réputation du Canada en prend pour son rhume.

Certains l'ont dit de façon polie, d'autres de manière plus brutale, mais peu importe le ton, les responsables que La Presse a rencontrés ont été unanimes: le Canada a bâclé le travail, il devrait avoir «honte». Dans le milieu de l'éducation à Kandahar, le Canada a mauvaise réputation.

C'était pourtant le projet phare du gouvernement de Stephen Harper, l'héritage qu'il voulait léguer aux Afghans: construire, agrandir ou réparer 50 écoles dans la province de Kandahar. Le Canada a lancé cette vaste opération en 2008. Coût: une dizaine de millions. But: ramener les filles à l'école.

En 2011, le Canada s'est complètement retiré de la province de Kandahar pour se replier sur Kaboul. Les responsables du ministère de l'Éducation à Kandahar et les directeurs d'école n'ont plus jamais entendu parler des Canadiens. Par contre, ils sont restés pris avec des écoles en piteux état.

La Presse a visité six écoles «canadiennes», cinq à Kandahar et une à Spin Boldak, une ville collée sur la frontière pakistanaise. Impossible de visiter les autres, car elles sont situées dans des régions trop dangereuses pour une Occidentale, comme Panjwai et Daman. Mais selon Ahmad Khalid, grand patron du ministère de l'Éducation de la province de Kandahar, «toutes les écoles construites par les Canadiens sont en très mauvais état».

Les écoles

L'école Shaheed Sardor Mohammed Dawood est située dans Aino Mina, un riche quartier de Kandahar. N'entre pas qui veut à Aino Mina. Le quartier est protégé par une clôture et surveillé par des gardes armés. Même dans ce coin privilégié de Kandahar, où les rues sont propres, les maisons somptueuses et les écoles fréquentées par des enfants de familles riches, le Canada a bâclé le travail.

Les écoles ont toutes été construites dans le même moule. Shaheed Sardor Mohammed Dawood ne fait pas exception. L'école devait avoir deux étages, elle n'en a qu'un. Des escaliers qui ne mènent nulle part s'arrêtent au milieu du plafond. De grandes fissures courent le long des murs. Seulement 8 toilettes ont été construites pour 1100 élèves. Le poêle a été installé trop près des fils électriques. Lorsqu'il l'a allumé la première fois, les circuits ont sauté.

Le directeur de l'école, Mansour Ahmad, est très fâché. «Le Canada devrait avoir honte, dit-il. Les Japonais, eux, ont très bien travaillé. L'UNICEF aussi. Les Canadiens ne sont jamais venus nous voir et on ne sait pas comment les contacter.»

Un peu plus loin, dans le même quartier protégé, l'école Safia Ama Jan reçoit 1800 filles. L'école est bien entretenue, mais ce sont les parents et la communauté qui l'ont retapée. «Les Canadiens nous ont laissé deux blocs de ciment avec du mobilier de très mauvaise qualité, raconte la vice-directrice, Habiba Safi. On ne pouvait rien écrire sur les tableaux, car ils étaient trop rugueux, il n'y avait que 3 toilettes pour 1800 élèves, le toit coulait, il n'y avait pas de cour, seulement un carré de terre battue avec des trous, et le 2e étage n'a jamais été construit.»

Là aussi, des escaliers s'arrêtent au milieu du plafond.

«Les Canadiens sont des incompétents, tranche la vice-directrice. Leur réputation est très mauvaise.»

Plusieurs écoles ont reçu du mobilier, pupitres et chaises. Ils ont vite été mis au rebut parce qu'ils n'étaient pas assez robustes pour supporter le poids des élèves au fil des mois.

L'école Saeed Jamaluldin Afghan a les mêmes problèmes: fissures dans les murs, toit qui coule, mobilier de mauvaise qualité, 12 toilettes pour 2600 élèves, dont 6 de brisées. Certaines classes n'ont pas de mobilier. Même s'il fait très froid, les élèves doivent s'asseoir par terre sur des tapis.

«Quand il pleut beaucoup, il faut fermer l'école parce que le toit coule», explique le vice-directeur, Qodrat Ullah.

Qodrat Ullah et sept enseignants sont assis dans une grande salle glaciale, les mains tendues devant un poêle qui surchauffe. Tous critiquent le Canada. «C'est une honte! Si vous donnez un cadeau, il ne doit pas être empoisonné», affirme un prof d'histoire, Mohammed Hachimi. Tous l'approuvent.

À l'école secondaire Malalli, la directrice, Anahita Rahimi, fulmine. Son école est située dans un quartier défavorisé, Khojae Deh. Il faut quitter la route principale et emprunter une piste cabossée pour s'y rendre. Elle aussi a sa liste de doléances. «Quand on lave le plancher, on part avec des morceaux, dit-elle. On ne peut pas allumer les poêles parce que les cheminées fonctionnent mal. Les Canadiens auraient dû surveiller les travaux pendant la construction. Depuis que l'école a été construite, je n'ai jamais vu un seul Canadien. Vous êtes la première que je rencontre.»

À l'école Safi Zakoor, le directeur, Samad Khan, n'est guère plus tendre. «C'était tellement mal construit qu'il a fallu tout recommencer. C'est l'UNICEF qui a refait le toit, les murs et les marches. Les Canadiens sont des incompétents et des voleurs.»

Spin Boldak

Cent kilomètres au sud de Kandahar, dans la ville frontière de Spin Boldak, le directeur général du ministère de l'Éducation, Badruldin Badr, tient à me faire visiter la «pire des huit écoles construites par le Canada».

L'école Ghebi Nika est quasiment insalubre. Pourtant 600 élèves la fréquentent. Quand il pleut, l'école doit fermer ses portes, car le toit fuit et l'eau se répand partout. Il n'y a ni chaises ni tables, les fenêtres sont cassées, les murs pèlent, les classes suintent l'humidité, la cour est en terre battue.

«Les autres écoles ont des problèmes, mais pas aussi aigus, dit M. Badr. Certaines n'ont pas de toilettes ou d'eau.»

Selon Haji Mirdad Kamran, responsable de la surveillance des écoles dans le district de Spin Boldak, les Canadiens ne les ont pas consultés avant de construire. «Deux écoles sont proches des quartiers habités, mais les six autres sont trop loin, dit-il. Nous avons 43 écoles dans le district, certaines sont en bon état, d'autres moins, mais une chose est certaine, les canadiennes sont les pires.»

Kandahar, berceau des talibans

La province de Kandahar est le berceau des talibans. C'est là qu'ils ont effectué leur première percée. En 1994, ils ont conquis Kandahar, qui a été dirigé par leur chef, le mollah Omar, grand ami d'Oussama ben Laden. Deux ans plus tard, en 1996, ils s'emparaient de Kaboul et du reste de l'Afghanistan. La province de Kandahar, essentiellement peuplée de Pachtounes, compte environ 1 million d'habitants. Elle est au coeur de la guerre menée par les troupes de l'OTAN contre les talibans. Les Canadiens, présents depuis 2002 à Kaboul, se sont déplacés à Kandahar en 2006, où ils sont restés jusqu'en juillet 2011. Ils se sont battus contre les talibans, laissant derrière eux 162 morts, dont un diplomate et une journaliste. Depuis 2011, environ 1000 soldats et fonctionnaires sont stationnés à Kaboul et aident les Afghans à former leurs soldats et leurs policiers. Ils se retirent définitivement d'Afghanistan en mars.