La relation extraconjugale que l'ancien commandant des Forces armées canadiennes en Afghanistan, Daniel Ménard, entretenait avec une subalterne était «le secret le moins bien gardé» de la base militaire de Kandahar.

C'est un journaliste américain qui a fait éclater au grand jour l'affaire en écrivant cette phrase sur son blogue en avril 2010. La relation, qui avait débuté au Québec et s'était poursuivie en zone de guerre, durait depuis plus près de deux ans.

Personne ne les avait jamais dénoncés avant que la section des Affaires publiques de l'armée canadienne ne lise le blogue et décide d'en avertir «la chaîne de commandement».

Cette histoire entraînera la chute de l'«étoile montante» des Forces canadiennes nommée brigadier-général à 43 ans. Il est l'un des plus jeunes, si ce n'est le plus jeune, à avoir accédé à ce grade dans l'histoire militaire du pays.

À l'ouverture de son procès, jeudi, en cour martiale à Montréal, Daniel Ménard a reconnu sa culpabilité à deux chefs d'accusation de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline, tel que stipulé à l'article 129 de la Loi sur la défense nationale.

Son infidélité lui avait déjà coûté sa carrière. Elle lui coûte aujourd'hui son grade de général et une amende de 7000$.

En effet, le juge militaire Louis-Vincent d'Auteuil lui a imposé cette peine, hier, suivant ainsi la suggestion commune faite par la poursuite et la défense.

Chute brutale

Daniel Ménard était au «sommet de la pyramide militaire», ayant mené une carrière «exemplaire» jusque-là, a souligné le procureur de la poursuite, aussi militaire, Martin Pelletier. Sa chute n'en a été que plus brutale, a-t-il poursuivi.

À l'été 2008, alors qu'il est marié et père de deux enfants, Daniel Ménard rencontre la caporale Bianka Langlois à la base militaire de Longue-Pointe à Montréal. Il n'est pas encore brigadier-général, mais il ne tardera pas à le devenir. Ils commencent à se fréquenter en cachette.

Leur relation se poursuit lorsqu'ils sont envoyés en Afghanistan. «Ils étaient tous les deux conscients des règles en place et des conséquences que pouvaient entraîner leur relation intime», peut-on lire dans un résumé des faits déposé en preuve, hier.

«Toutes les formes de comportements sexuels, dont les contacts et les baisers entre adultes consentants» étaient interdits sur la base militaire «en raison de la nature particulière des opérations en Afghanistan».

Complicité de l'aumônier

Après le dévoilement de l'histoire sur le blogue américain, un officier sous les ordres de Ménard, le colonel Simon Hetherington, fouille dans les courriels de son patron à la recherche de preuves. Il le confronte ensuite. Le brigadier-général nie tout, puis met un terme à sa relation avec sa subalterne.

L'histoire n'en restera pas là. Environ un mois plus tard, Bianka Langlois confie à un supérieur être «en amour» avec Daniel Ménard et avoir eu des relations sexuelles avec lui.

Mis au courant de ces confidences incriminantes, Daniel Ménard demande à l'aumônier des troupes canadiennes de convaincre la jeune femme de changer sa version. L'aumônier accepte de servir d'intermédiaire. Et la subalterne se rétracte. Ménard lui demande du même coup de supprimer toutes les preuves courriels de leur relation.

Peu de temps après, les anciens amants font volte-face à nouveau et décident d'admettre avoir été «très proches». Le même jour, le 29 mai 2010, le brigadier-général Ménard sera relevé de son commandement. Le lendemain, il sera rapatrié au Canada.

La caporale Langlois, toujours à Kandahar, remettra une clé USB à des enquêteurs des Forces canadiennes sur laquelle elle a sauvegardé une série de courriels échangés avec Ménard. Elle n'avait pas supprimé toutes les preuves. Ils ne se reparleront plus jamais.

Placé sur une tablette

L'armée n'a pas à proprement dit montré la porte au brigadier-général. Mais le poste prestigieux de grand patron de l'armée de terre pour la région du Québec qui l'attendait au terme de sa mission en Afghanistan ne lui a pas été accordé. Il a plutôt été envoyé à Ottawa, confiné à un rôle mineur.

«Il est clair que je n'étais plus le bienvenu au sein du club des généraux. Je me suis senti totalement ostracisé», a témoigné l'ancien haut gradé, hier, devant une salle bondée de journalistes dans l'immeuble du Régiment de Maisonneuve situé au centre-ville.

L'homme est arrivé en cour, hier matin, vêtu d'un complet bleu marine, la bague de mariage au doigt, aux côtés de son avocat civil, Me Jean Asselin.

À 45 ans, Ménard a pris sa retraite prématurément l'hiver dernier voyant toutes les portes se refermer devant lui. Détenteur d'une maîtrise en management international, il n'a pas réussi à se trouver un emploi depuis son retour à la vie civile.

L'ancien haut gradé qui a passé près de 25 ans dans l'armée a songé à tenter de faire invalider devant les tribunaux ce règlement qui interdit les relations intimes entre militaires qu'il considère désuet. Préférant «tourner la page» pour «retrouver la quiétude de sa vie familiale», il a finalement choisi de laisser ce combat à d'autres.

Des excuses à sa famille

«Je regrette profondément ma conduite et ce que j'ai fait subir à ma conjointe et à mes enfants», a dit le militaire de carrière en étouffant un sanglot. C'est le seul moment où il a laissé transparaître une émotion au cours de son témoignage.

M. Ménard est ainsi rétrogradé au grade de colonel. Une rétrogradation symbolique puisqu'il a quitté l'armée. Cela n'aura aucune conséquence sur sa pension.

Me Asselin estime que son client a déjà été largement puni. «On ne reproche pas à M. Ménard d'avoir violé ou agressé des femmes ni d'avoir tué quelqu'un. On lui reproche une relation extraconjugale», a-t-il plaidé, déplorant que la cause ait été autant médiatisé que celle du colonel Russel Williams, expulsé de l'armée après avoir assassiné deux femmes.

Le juge militaire a alors interrompu l'avocat de défense: «On ne lui reproche pas le fait que ce soit une relation extraconjugale, mais d'avoir contrevenu à une règle (de l'armée). Il lui aurait été interdit de le faire avec sa propre épouse.»

«Il n'y a pas de doute que ce qui est arrivé à la carrière du brigadier Ménard est triste, mais c'est le résultat des choix qu'il a lui-même faits», a plaidé pour sa part l'avocat de la poursuite.

Il s'agit d'un «bris de confiance » qui va à l'encontre des principes d'intégrité et d'honnêteté au coeur du métier de militaire, a conclu le juge de la cour martiale. Des infractions survenues «au plus mauvais endroit au plus mauvais moment» dans un contexte où ses troupes mettaient leur vie en péril, a-t-il martelé. «Même si ça pouvait vous paraître anodin à l'époque, vos actions ont affecté la hiérarchie», a insisté le magistrat.

La caporale Bianka Langlois a quant à elle écopé d'une réprimande et d'une amende de 700$ en septembre dernier. M. Ménard a par ailleurs déjà reçu 3 500$ d'amende pour négligence, lors d'un incident survenu en mars 2010. Il a accidentellement déchargé une arme à deux reprises alors qu'il était en présence d'un autre officier.