Un membre des services de renseignement afghans s'est vanté l'an dernier auprès de militaires canadiens que son organisation pouvait «torturer» ou «battre» des prisonniers pendant l'enquête dont ils faisaient l'objet.

Cet aveu étonnant figure dans des documents fédéraux. Il s'agirait de la première fois qu'un représentant de la Direction nationale de la Sécurité (DNS) afghane admet aussi candidement de telles choses, qui mettent évidemment les responsables canadiens dans l'embarras.

Des notes de synthèse obtenues par La Presse Canadienne montrent que les diplomates canadiens et les gardiens de prison de Kandahar tentaient en mai 2009 de vérifier la véracité de ces allégations.

Ces déclarations ont été faites le 9 mai lors d'une rencontre qui s'est déroulée à Kandahar et à laquelle assistaient les commandants terrestres.

Et selon les critiques, il s'agit là d'une autre preuve à l'effet qu'Ottawa ne devrait plus transférer de prisonniers aux autorités afghanes.

Les rapports dénonçant le recours à la torture des agences afghanes sont légions, mais ils sont généralement émis par des groupes de défense des droits de la personne, des agences humanitaires et les prisonniers eux-mêmes.

Du côté des services de renseignement, on est rarement aussi candide.

À la suite de cette déclaration, le commandant à l'époque des troupes canadiennes en Afghanistan, le brigadier-général Jon Vance, avait ordonné un arrêt immédiat des transferts de prisonniers afghans. Un tel ordre a été donné à deux autres reprises en 2009.

A l'automne, alors qu'il faisait face à un feu nourri en Chambre, le ministre de la Défense, Peter MacKay, avait reconnu que les transferts de prisonniers avaient été interrompus en mai 2009. Il n'avait cependant pas expliqué les circonstances à l'origine de cette décision, ni celles entourant un autre incident survenu un peu plus tard, au mois de septembre.

Le gouvernement Harper n'a reconnu qu'une seule chose: que l'interruption des transferts de présumés combattants afghans était reliée aux «allégations concernant le traitement» des prisonniers.

En septembre, les transferts avaient été interrompus à la suite d'une requête émanant des responsables des services de renseignement afghans, qui demandaient aux Canadiens de fournir davantage de preuves avant de détenir des présumés combattants.

Mais les allégations de torture du membre de la DNS ont forcé la tenue d'une rencontre extraordinaire le 12 mai 2009, selon un document de synthèse préparé pour le ministre MacKay.

Une vidéoconférence privée avait été organisée. Des représentants du ministère des Affaires étrangères, de la Défense nationale, des commandants militaires basés au Canada et en Afghanistan et des diplomates de Kaboul s'étaient entretenus avec le Bureau du Conseil privé - le ministère du premier ministre Harper.

Trois jours après, soit le 15 mai, le ministre MacKay recevait un sommaire qui appelait à une «réponse immédiate» étant donné «la nature sensible des allégations».

La réaction a été prompte.

Car quelques jours après avoir été mis au courant de cette déclaration, le ministère des Affaires étrangères a dépêché des fonctionnaires chargés de questionner six prisonniers capturés par des Canadiens qui étaient détenus dans un établissement de Kandahar géré par la DNS.

Ottawa a également promis de «doubler la fréquence de ses visites», indique un rapport écrit préparé pour le ministre des Affaires étrangères Lawrence Cannon.

L'ambassadeur qui était en poste à ce moment à Kaboul, Ron Hoffman, avait fait part de l'«inquiétude» du gouvernement canadien au gouvernement d'Hamid Karzaï.

De plus, l'information a été transmise à la Croix-Rouge internationale et à la Commission indépendante des droits de la personne d'Afghanistan, qui ont ouvert leurs propres enquêtes.

Le chef de la DNS de l'époque, Amarullah Saleh, a aussi accepté d'enquêter de son côté.

Les interrogatoires menés auprès des prisonniers dans la foulée de la déclaration incendiaire ont par ailleurs contribué à calmer le jeu.

«Si aucune allégation spécifique d'abus ou de mauvais traitements n'a été soulevée, un détenu a tout de même rapporté que durant son interrogatoire, il s'était senti menacé d'avoir dû rester debout pendant une longue période de temps car il souffrait d'une blessure au genou», indique le document remis au ministre MacKay.

L'absence de preuves avait amené les responsables canadiens à remettre en question les prétentions à l'origine de ce branle-bas de combat.

Ottawa avait décidé de garder le silence à ce sujet et de l'évoquer en public seulement si des questions étaient posées.

Une porte-parole de Peter MacKay avait affirmé que la gestion de cette crise prouvait que le système de surveillance des prisonniers développé par le Canada était efficace.

Les audiences publiques de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire reprendront jeudi après une pause d'environ trois mois.

Son rôle est de déterminer ce que les policiers militaires savaient - et ce qu'ils ignoraient - au sujet de la torture dans les prisons afghanes.