Le ministre fédéral de la Défense, Peter MacKay, balaie du revers de la main les nouvelles allégations d'un ancien interprète des Forces canadiennes, selon lesquelles les soldats canadiens à Kandahar ont essentiellement «sous-traité» la torture en transférant des prisonniers aux services de sécurité afghans.

Vingt-quatre heures après les révélations explosives de Malgarai Ahmadshah, citoyen canadien d'origine afghane, devant un comité parlementaire, le ministre MacKay a réagi en affirmant que les allégations ne sont pas crédibles parce que l'individu n'était pas présent lorsque les incidents reprochés sont survenus.

 

Ce faisant, M. MacKay a tenté de miner la crédibilité de M. Ahmadshah, qui a travaillé pour les Forces canadiennes de juin 2007 à juin 2008, utilisant ainsi la même tactique qu'il avait préconisée pour répliquer à un autre témoignage explosif, celui du diplomate Richard Colvin, en novembre dernier.

M. Colvin, qui a été en poste à Kaboul pendant 18 mois, en 2006-2007, avait alors affirmé que le gouvernement canadien était au courant depuis longtemps que des détenus risquaient la torture s'ils étaient remis aux autorités afghanes. Il a réitéré ses allégations devant la Commission d'examen des plaintes contre la police militaire plus tôt cette semaine.

«Le témoin (M. Ahmadshah) a fait des allégations devant le comité, mais quand on lui a demandé s'il avait des preuves pour corroborer ses allégations, il a dit qu'il n'avait pas de preuve précise», a affirmé le ministre aux Communes en réponse à une question du député libéral Bob Rae.

M. MacKay a ensuite invité les partis de l'opposition à accepter les témoignages des officiers de haut rang des Forces armées canadiennes qui ont affirmé n'avoir jamais été mis au courant des risques de torture auxquels s'exposaient les prisonniers afghans.

Dans son témoignage, M. Ahmadshah, dont le nom de code dans l'armée canadienne était Pasha, a affirmé que les soldats canadiens se seraient livrés à des arrestations sommaires et qu'ils auraient transféré des innocents aux services de sécurité afghans.

Une bévue camouflée?

Pis encore, il a dit avoir recueilli des témoignages auprès de détenus afghans voulant que l'armée canadienne aurait commis une bévue en tuant à bout portant, par derrière, un homme sans arme lors d'un raid à l'été 2007. L'interprète aurait ensuite entendu un militaire affirmer que l'incident «est un meurtre et ils tentent de le camoufler».

Le chef d'État-major des Forces armées, le général Walt Natynczyk, a affirmé dans un communiqué de presse publié mercredi soir que «nous prenons toutes les allégations au sérieux et que toute nouvelle allégation sera revue de manière appropriée».

«Les faits sont simples: les Forces canadiennes se sont toujours engagées et s'engagent encore à assurer que le traitement et le transfert des détenus soient exécutés conformément à leurs obligations en vertu du droit international. Chaque fois que des allégations précises de mauvais traitement ont été soulevées, les Forces canadiennes n'ont pas hésité à agir», a affirmé le général.

L'opposition veut une enquête publique

Mais pour le Parti libéral, le Bloc québécois et le NPD, ces nouvelles allégations justifient la tenue d'une enquête publique sur le sort des prisonniers afghans transférés par les soldats canadiens. Car si les soldats canadiens ont transféré des prisonniers en sachant qu'ils couraient le risque de se faire torturer, cela contreviendrait aux conventions de Genève.

«Chaque jour, de nouvelles et troublantes allégations sont connues sur le traitement des détenus afghans. Ces questions ne sont pas encore résolues. Ces questions sont difficiles et importantes pour la réputation du Canada. (...) La seule façon de tirer cette affaire au clair, c'est de tenir une enquête publique», a affirmé Bob Rae.

M. MacKay a affirmé qu'un comité parlementaire et la Commission d'examen des plaintes contre la police militaire se penchaient déjà sur ce dossier, ce qui est suffisant à son avis.

Toutefois, les allégations selon lesquelles les autorités canadiennes étaient au courant se multiplient. En plus du témoignage de M. Ahmadshah, deux autres diplomates ont affirmé cette semaine avoir alerté le gouvernement canadien des risques que couraient les prisonniers transférés aux autorités afghanes.

D'abord devant la Commission d'examen des plaintes contre la police militaire, le diplomate Nicholas Gosselin a dit avoir averti les autorités canadiennes à maintes reprises à ce sujet en 2008. Ensuite devant un comité parlementaire, l'ex-numéro 2 du Canada en Afghanistan, Eileen Olexiuk, a affirmé que les problèmes de mauvais traitements infligés aux détenus par les services de sécurité afghans étaient bien connus.