L'insurrection en cours en Afghanistan rend la tâche des avocats militaires de la coalition beaucoup plus difficile qu'une guerre classique.

Ils sont au coeur des décisions, dans le centre des opérations, à conseiller les commandants, au moment de l'exécution des plans, mais également au cours du processus de planification, parce que les États membres de l'OTAN engagés en Afghanistan n'ont pas tous les même règles pour ouvrir le feu, et parce que l'ennemi n'est pas toujours facile à cibler.

«Certainement, c'est difficile», a commenté le capitaine de corvette John McKee, au cours d'une entrevue récente à La Presse Canadienne, à l'aérodrome de Kandahar, là où sont stationnés plusieurs des contingents de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) de l'OTAN, notamment les Canadiens.Cet avocat militaire canadien est rattaché au quartier-général du Commandement de la Région Sud de l'OTAN, la zone de guerre la plus disputée du pays. Avec ses deux collègues néerlandais et britannique, il est notamment chargé de réviser les concepts d'opération et les plans pour s'assurer de leur conformité aux règles de droit, aux conventions internationales, aux missions de chacun des États engagés, etc.

«C'est bizarre, nous en arrivons à devoir conseiller les commandants sur ce qui pourrait ou non arriver, sur ce qu'ils pourraient faire ou non», en plein dans le feu de l'action, a-t-il fait remarquer.

«C'est très complexe, c'aurait été plus facile si cela avait été un conflit du genre de la Seconde Guerre mondiale. Mais ce ne l'est pas. C'est pourquoi il y a plein d'avocats ici, je présume.»

Au cours de la Deuxième Grande Guerre, les deux camps étaient clairement définis, portaient des uniformes, alignaient des tanks, des bombardiers, etc, et les conventions internationales du droit des conflits armés ont été conçues pour ce type de conflit, a rappelé John McKee. Déjà, la guerre du Vietnam, un conflit classique doublé d'une guérilla, avait commencé à brouiller les distinctions.

Or, l'Afghanistan est plongé dans une insurrection, où les combattants sont difficiles à distinguer des civils et ne se conforment pas aux règles du droit des conflits armés, a-t-il poursuivi.

«Il est donc plus difficile de les identifier, de les cibler et de les combattre.»

Par exemple, comment réagir quand les soldats sont sous un feu nourri, en provenance d'un lieu à proximité de l'habitation d'une famille? a-t-il demandé.

«C'est ce que les insurgés aiment bien faire», a précisé l'avocat militaire. Comment riposter? Y a-t-il une famille à l'intérieur? Comme en Irak, ils utilisent des boucliers humains.

«Ces pratiques vont à l'encontre des lois sur les conflits armés, cependant nous n'affrontons pas les agents d'un État, mais plutôt des gens que certains appellent terroristes ou insurgés. Ils ne respectent pas les règles. Mais nous, oui. Et ils le savent.»

À ce propos, l'usage de la force par les armées est clairement balisé dans deux catégories, au Canada: la légitime défense et les règles d'engagement, a rappelé, dans une entrevue, la major Nadine Fortin, juge-avocate adjointe et conseillère juridique du Groupement tactique du 2e Bataillon du Royal 22e Régiment de Valcartier, la force de combat canadienne actuellement au front dans la province de Kandahar.

C'est elle qui doit assister juridiquement les commandants au cours du déroulement de chaque opération, au quartier-général du Groupement tactique, à l'aérodrome de Kandahar.

En cas de légitime défense, c'est-à-dire d'acte ou d'intention hostile, et d'imminence de blessure grave ou de mort, selon la définition canadienne, le soldat sait qu'il peut tirer «sans avoir à attendre d'avoir une balle entre les deux yeux», a-t-elle illustré. Toutefois, en vertu des règles d'engagement et du droit des conflits armés, les situations ne sont pas toujours claires.

«Dans le doute, le doute est toujours en faveur de la vie, en faveur de ne pas user de la force, c'est un principe du droit des conflits armés, tous nos soldats le savent, cela leur a été répété régulièrement, a insisté Nadine Fortin. S'ils ont un doute et qu'ils ne sont pas en danger, ils vont attendre d'avoir une réponse.»

Les insurgés «jouent avec le doute» et tentent d'en faire usage à leur avantage, a évoqué Me McKee. Ils savent qu'ils sont dépassés en puissance de feu, sauf qu'ils se déplacent facilement et se mélangent aux populations, a ajouté l'avocat militaire.

De surcroît, les règles d'engagement sont des «concepts larges, ouverts à l'interprétation», a réitéré Me McKee. Elles sont tenues secrètes, puisque leur divulgation permettrait à l'ennemi de connaître les conditions en vertu desquelles un soldat canadien peut appuyer sur la gâchette, par exemple.

«Il semble que les règles soient noir sur blanc, mais dans de vrais scénarios, ça devient brumeux», a-t-il imagé.

Ainsi, même si le commandement de la FIAS a approuvé des règles générales pour l'ensemble des belligérants alliés, parfois les règles nationales «ne s'imbriquent pas» et les avocats doivent les réinterpréter, appliquer «la réflexion du champ de bataille», pour arriver à une solution, a-t-il détaillé.

«La FIAS a ses règles, qui peuvent entrer en conflit avec celles d'un pays membre. Nous devons en être conscients. L'État X peut faire ceci, mais le pays Y ne peut faire cela, nous devons donc changer les plans ou la composition de la force opérationnelle. Si les soldats d'un pays sont dans le pétrin et requièrent du soutien aérien, tel autre pays ne pourra les aider dans ce scénario, pour telle et telle raisons.»

Autre degré de complexité: pas moins de 21 000 soldats américains supplémentaires sont en voie de déploiement en Afghanistan, certains arrivent directement de l'Irak, où les règles du jeu étaient «complètement différentes», a soulevé le capitaine de corvette. Il faudra donc se coordonner avec les conseillers juridiques américains.

«Nous devons nous assurer que nous sommes au diapason, que nous suivons la même partition, et énoncer ce qu'est la légitime défense ici, ce que sont les règles d'engagement ici. C'est taillé sur mesure pour cet environnement, qui n'est pas le même qu'en Irak.»

Plus tôt ce printemps, le commandant de la Région Sud de l'OTAN, le major-général Mart de Kruif, qui dirige toutes les troupes coalisées dans la région, avait assuré, dans une entrevue, que les renforts américains allaient être astreints aux mêmes règles que les autres forces coalisées et qu'ils allaient être formés à cet égard avant même leur arrivée en Afghanistan.