Après s'être battu contre la pauvreté, pour la justice sociale et l'égalité des chances, contre les changements climatiques et contre le désabusement des électeurs, Jack Layton a perdu lundi matin son dernier combat, contre la maladie.

Entouré de ses proches, dans sa résidence de Toronto, le chef néo-démocrate est mort avant l'aube à l'âge de 61 ans, moins d'un mois après avoir annoncé son retrait temporaire de la vie politique pour soigner un nouveau cancer.

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Sa femme, la députée néo-démocrate Olivia Chow, et ses enfants, Sarah et Michael Layton (nés d'une précédente union), ont confirmé la triste nouvelle par communiqué dans la matinée.

Entre la fin de la session parlementaire, le 25 juin, et le moment où il a annoncé son départ, le 25 juillet, sa santé s'était détériorée considérablement.

Le 18 juin, à Vancouver, il avait fait une apparition remarquée au congrès du NPD, le temps d'esquisser quelques pas sur la piste de danse, en fin de soirée.

Toujours appuyé sur sa canne, il disait alors à qui voulait l'entendre qu'il se sentait «en bien meilleure forme» que pendant la campagne électorale.

Il venait tout juste d'emménager à Stornoway, la résidence officielle du chef de l'opposition à Ottawa, non sans un brin d'inconfort. C'est que l'imposante demeure semblait bien luxueuse à cet homme simple, habitué à se rendre au travail à vélo et qui vivait dans une petite maison familiale à Toronto avec sa femme et sa belle-mère.

Jack Layton avait fait sa marque en politique les manches roulées et les deux pieds dans la boue, défendant les familles et les travailleurs de tous horizons, comme dans le récent conflit de travail à Postes Canada.

Toujours à la recherche de compromis, il avait forcé en 2005 le gouvernement libéral de Paul Martin, minoritaire, à modifier son budget pour y ajouter pour 4,6 milliards de mesures sociales, notamment pour le logement abordable et les transports en commun.

Plus récemment, à l'automne 2009, le NPD avait sauvé le gouvernement de Stephen Harper d'un scrutin général hâtif en échange de 1 milliard de dollars pour financer la prolongation des programmes d'assurance emploi.

Onde de choc

Spontanément, lundi, quelques centaines de Canadiens sont venus déposer des fleurs et des messages de condoléances aux pieds de la flamme du Centenaire, devant le parlement, où l'on a mis les drapeaux en berne.

Les réseaux sociaux et plusieurs sites internet ont rapidement été inondés de témoignages de toutes sortes, signe de l'enthousiasme et du respect suscités par un politicien accessible, sympathique et près du peuple.

L'ensemble de la classe politique canadienne s'est aussi inclinée devant le courage, la persévérance et le dévouement dont il a fait preuve dans sa défense des idéaux progressistes qui l'animaient.

Dans une lettre adressée aux Canadiens, datée de samedi dernier, il invite d'ailleurs la population à continuer de travailler pour «bâtir un meilleur pays, un pays où l'égalité, la justice, les opportunités sont plus grandes» (voir pages A4 et A5).

Vague orange

La dernière campagne électorale de Jack Layton avait commencé avec un point d'interrogation. Était-il suffisamment en santé pour ce marathon de 37 jours?

Toujours en lutte contre un cancer de la prostate, il se remettait à peine d'une micro-fracture à la hanche, qui l'obligeait à marcher avec une canne. Les journalistes avaient baptisé son avion Hipster Air ou Air Canne.

À la mi-avril, tous s'étaient ravisés. L'avion du NPD avait pris le nom d'Orange Crush One à la suite des sondages qui laissaient lentement entrevoir la percée historique du NPD au Québec et dans le reste du Canada. Cela avait galvanisé M. Layton, qui semblait même plus en forme que les reporters qui le suivaient. Dans ses discours, il brandissait sa canne dans les airs et se permettait parfois de sautiller.

Il assurait alors que, selon un récent test PSA, son taux de cellules cancéreuses était presque nul. «N'importe quelle personne atteinte d'un cancer vous le dira: on croise toujours les doigts, car on ne sait jamais ce qui va arriver, dans la vie. Mais je me sens très bien.»

Dans un vieux magasin familial de St. John's, à Terre-Neuve, il avait eu assez de souffle pour jouer sans problème un petit blues à l'harmonica. La semaine suivante, en vol vers Yellowknife, il s'était rendu à l'arrière de l'avion pour rire du chahut de quelques journalistes fêtards. Il était plus de minuit, après une autre éreintante journée de campagne, et le bruit ne le dérangeait pas.

M. Layton ne craignait pas le contact direct avec le public. Les citoyens adoraient lui parler, avec une familiarité parfois déconcertante.

Lors d'un bain de foule à la Cage aux sports du Centre Bell, durant les séries éliminatoires, M. Layton, arborant fièrement un chandail du Canadien, a servi de la bière derrière le bar. Spontanément, les amateurs se sont mis à crier: «Chug! Chug!» («Cul-sec!»). Beau joueur, il a souri et pris quelques gorgées.

Sa soeur Nancy, ancienne professeure d'éducation physique, supervisait ses exercices sur la route. Mais Jack Layton n'avait pas senti le besoin de consulter ses médecins en avril. «Je travaille trop fort à ma campagne. Je vais consulter un médecin pour ma hanche à mon retour, avait-il confié. Mais je sais ce qu'il va me dire: les choses vont bien. Je le sens.»

Jack Layton aura droit à des funérailles d'État samedi à Toronto.