Le gouvernement Charest a décidé d'ouvrir une brèche dans sa propre «politique de protection des rives» et de contrevenir à la Loi sur le développement durable avec la décision qu'il prendra aujourd'hui sur la reconstruction des résidences détruites par les inondations le long de la rivière Richelieu et de la baie Missisquoi, en Montérégie.

En permettant la «reconstruction» des résidences principales dans une zone qui risque fort d'être de nouveau inondée dans les 20 prochaines années, Québec ouvre aussi la porte à une répétition du cauchemar de mai dernier. Surtout, il risque d'être de nouveau forcé de payer la note.

Mémoire

La Presse a obtenu le mémoire qui doit être discuté aujourd'hui à la réunion du Conseil des ministres. Soumis lundi par le responsable des Affaires municipales, Laurent Lessard, le projet, qui faisait encore l'objet d'ajustements en fin de journée hier, a déjà circulé dans quelques ministères, notamment à la Sécurité publique et au Développement durable. Le ministre de l'Environnement, Pierre Arcand, a fait savoir par une porte-parole qu'il ne ferait pas de commentaires, même si la décision déroge à la Loi sur le développement durable.

Les ministres Lessard (Affaires municipales) et Robert Dutil (Sécurité publique) n'ont pas donné suite aux appels de La Presse, hier.

Les inondations de mai et juin ont endommagé 3000 résidences. Québec fait l'objet de pressions importantes de la part des maires, qui «veulent maintenir l'occupation de la zone inondable par leurs citoyens en autorisant la reconstruction des résidences détruites».

Québec a déjà annoncé qu'il offrirait jusqu'à 150 000$ aux propriétaires des maisons rendues inhabitables. Une politique adoptée en 2005 interdit formellement la reconstruction ou la construction sur tout terrain qui risque d'être inondé dans les 20 ans à venir.

Or, les ministres entérineront ce matin le mémoire, qui recommande d'«autoriser provisoirement la reconstruction avec immunisation des résidences principales dans la zone inondable 2-20 ans et maintenir un droit acquis uniquement pour ces reconstructions». Le mémoire arrive à cette conclusion après une dizaine de pages où l'on fait la liste des arguments pour ou contre les quelques solutions qui s'offraient à Québec.

Même si la zone est jugée risquée - une inondation est probable à l'intérieur d'une période de 20 ans -, le document prévoit que «toute résidence principale qui a été détruite, devenue dangereuse, ayant perdu plus de la moitié de sa valeur, qui est rendue inutilisable pour des raisons de santé et de salubrité [...] pourra être reconstruite ou réparée». On ne pourra agrandir les bâtiments, qui devront être «immunisés» contre les infiltrations.

On prévient aussi que Québec doit «interdire formellement» toute «nouvelle construction résidentielle» dans cette zone inondable. Certaines municipalités avaient une interprétation plutôt laxiste des dispositions de la Politique sur la protection des rives, adoptée en 2005.

La reconstruction des résidences sera interdite dans la zone où, selon les statistiques, les inondations sont probables en deçà de deux ans. Selon les chiffres qui circulent dans les ministères, on compte une centaine de bâtiments dans cette zone critique, et près d'un millier dans le secteur où les inondations sont prévisibles dans les 20 prochaines années.

Des inconvénients

La solution retenue par Québec comporte des inconvénients certains, bien décrits dans le document.

D'abord, on reconnaît qu'il est difficile de distinguer les résidences principales des résidences secondaires, et les municipalités ne sont pas habilitées à faire cette discrimination.

Les mesures d'assouplissement de la Politique de protection des rives créent en outre un précédent, et «d'autres municipalités locales ou régionales pourraient demander les mêmes».

Surtout, la reconstruction dans ce secteur inondable «favorise la répétition de dommages importants» et, par conséquent, «le versement répété» d'aide financière.

Sans oublier que le gouvernement «contrevient aux principes de la Loi sur le développement durable» et même à ceux d'une loi qui n'est pas encore adoptée sur l'aménagement durable. On fait fi aussi des «orientations gouvernementales en aménagement du territoire».

Aussi, le gouvernement est bien conscient du fait qu'il faut s'attendre à ce que d'autres municipalités demandent à «se prévaloir de la solution recommandée dans le mémoire, si celle-ci offre des opportunités nouvelles en matière de gestion des plaines inondables». Plusieurs d'entre elles sont justement en train de revoir leur schéma d'aménagement.

Pas moins de huit MRC ne se conforment pas encore à la politique de protection des rives, adoptée il y a six ans, et permettent la construction dans les zones inondables 0-20 ans. La solution adoptée en Montérégie augmentera leur résistance.