Depuis près de 60 ans, Jean-Guy Rioux côtoie la mort au quotidien. Jamais l'entrepreneur de pompes funèbres ne l'aura vue frapper autant de fois en si peu de temps.

«On est dépassés. Même si on est habitués au deuil», dit avec émotion l'homme de 82 ans, qui possède l'une des deux seules entreprises funéraires de la région.

Quatre jours après l'incendie qui a fort probablement fauché la vie d'une trentaine de personnes, lui et son fils Nelson ont répondu à des dizaines d'appels à l'aide des familles éprouvées. Ils se retrouvent en plein coeur de la tragédie.

«Les proches veulent être rassurés. Ils ne savent pas ce qui va arriver au corps de leur être cher. Ils n'ont pas beaucoup d'informations et ils ont peur que ce soit long avant de sortir les corps des débris. Ils s'inquiètent aussi que ce soit compliqué de les identifier, raconte Nelson Rioux. Ils ont besoin de parler et il faut les écouter.»

«Tout le monde se connaît»

Au cours des prochaines semaines, lui et son père organiseront des funérailles à la chaîne pour des gens qu'ils connaissaient presque tous. «Dans un petit village, tout le monde se connaît de près ou de loin. Il y a des visages qu'on rencontrait dans la rue ou à l'épicerie. C'est sûr qu'on embarque dans le deuil. Mais notre travail doit être parfait. Encore plus quand on connaît les familles.»

Huit disparus de la Résidence du Havre avaient déjà des préarrangements chez eux. Madeleine Fraser, 86 ans, a été la dernière à s'inscrire. «Je suis allé la visiter au foyer il y a moins de deux mois, relate Jean-Guy Rioux. Elle n'avait pas d'enfants, alors elle voulait tout prévoir.» La vieille dame aura presque réussi. «Je devais retourner cette semaine pour qu'elle me donne une photo d'elle. C'est tout ce qu'il manquait», dit l'homme. Il n'aura pas eu le temps. Comme ceux de plusieurs autres victimes, ses souvenirs ont disparu avec elle. «Ça aussi, c'est difficile pour les proches.»

Depuis le drame, plusieurs familles se sont manifestées pour amorcer des démarches funéraires, même si la dépouille de leur proche n'a pas été retrouvée. «L'attente est longue pour eux. Ils se sentent impuissants.» Le fait de commencer les démarches concrétise un peu la perte. Mais sans le corps, il n'y a pas grand-chose à faire. Impossible de tourner la page. «Les gens veulent qu'on les sorte le plus vite possible», dit Nelson Rioux, qui croit qu'il faudra près de trois semaines aux secouristes pour libérer tous les cadavres de leur prison de glace.

Le père et le fils comptent assister à chacune des cérémonies. «On sait que ça va être une période émotivement difficile.»

Malheureusement, en raison des circonstances extrêmement violentes entourant leur mort, plusieurs personnes risquent de ne pas pouvoir être exposées à cercueil ouvert, même si tel était leur souhait.

Afin de mieux gérer la crise, la petite entreprise familiale a demandé l'expertise d'une équipe de la corporation des thanatologues qui a oeuvré à Lac-Mégantic dans la foulée de l'explosion du train, l'été dernier.

«Ils ont vécu l'horreur. C'est notre tour», soupire Nelson Rioux