Ancien officier de l'aviation canadienne, Jacques Castonguay a enseigné la psychologie au Collège militaire royal de Saint-Jean, dont il deviendra le recteur en 1986. Dans les années précédentes, il avait été au centre des démarches qui allaient voir l'Assemblée nationale du Québec voter à l'unanimité (1985) la loi accordant au CMR sa charte universitaire. Jacques Castonguay a aussi été l'une des rares voix de l'intérieur à se faire entendre après la fermeture du Collège, en 1995.

Parallèlement à sa carrière universitaire, M. Castonguay a signé de nombreux ouvrages traitant de psychologie, de politique internationale et d'histoire (www.jacquescastonguay.com). Il a notamment écrit une quinzaine d'ouvrages sur l'histoire militaire, dont une imposante monographie des Voltigeurs de Québec, le plus ancien des régiments canadiens-français.

La Presse a rencontré M. Castonguay cette semaine, à sa résidence de l'Île-des-Soeurs, pour parler du livre Les opérations de l'Armée et la crise d'Octobre (éd, Carte blanche, 144 p.), son 29e ouvrage.

Q Comment en êtes-vous venu à écrire cet ouvrage sur le rôle de l'armée pendant la crise d'Octobre?

R Beaucoup de livres ont été écrits sur la crise d'Octobre, mais aucun sur ce sujet précis... et délicat. Il s'agit de la plus grande opération militaire au Canada en temps de paix, à laquelle presque 5000 hommes ont participé. Grâce à Serge Bernier, l'historien du ministère de la Défense, j'ai eu facilement accès à des documents fraîchement rendus publics.

Q Qu'y avez-vous trouvé?

R Entre autres choses, que les Forces armées canadiennes étaient prêtes à intervenir depuis plusieurs jours quand le gouvernement du Québec l'a officiellement demandé. La Force mobile (qui réunissait alors l'armée et les unités aériennes tactiques) a mis ses unités en état d'alerte le 7 octobre, deux jours après l'enlèvement de James Cross mais trois jours avant celui de Pierre Laporte. L'opération Night Hawk (7-9 octobre) a commencé avec l'envoi au camp Bouchard, un dépôt de munitions situé à Blainville, de deux sous-unités de la base de Valcartier.

Q Qui a pris l'ultime décision de demander l'aide de l'armée?

R La question est un peu en dehors de mon sujet, mais on n'a jamais su qui M. Bourassa avait consulté. Mon frère Claude, que je cite dans mon livre, était alors ministre de la Santé dans le nouveau gouvernement, aux prises par ailleurs avec la grève des médecins spécialistes. Claude - il l'a écrit dans ses mémoires - ne se souvient d'aucune réunion du Conseil des ministres où il aurait été question de demander l'aide de l'armée ou la promulgation de la Loi sur les mesures de guerre.

Q Deux choses que bien des gens confondent toujours...

R En effet mais, dans la réalité, ces deux événements sont indépendants l'un de l'autre. À la suite d'une demande faite par ministre de la Justice du Québec selon les dispositions de la Loi sur l'aide au pouvoir civil, l'armée s'est déployée à Montréal le matin du 15 octobre avec pour mission de mener des opérations de recherche, d'encerclement et de garde, le tout sous la responsabilité de la Sûreté du Québec. Plusieurs officiers d'opérations de la Force mobile et du 5e Groupement de combat s'étaient d'ailleurs installés au QG de la SQ, rue Parthenais.

La Loi sur les mesures de guerre, par ailleurs, a été promulguée par le premier ministre Trudeau à 4h la nuit suivante, à la demande de M. Bourassa et de Jean Drapeau, qui réclamaient pour la police des pouvoirs accrus devant ce qu'ils percevaient comme un danger d'insurrection. À ce moment, l'armée était déjà sur le terrain.

Q Quel rôle a joué la langue au cours de ces opérations?

R Pour faciliter le contact, on avait désigné les unités en fonction de la langue parlée par la majorité de la population dans les secteurs de déploiement. Ainsi, les unités francophones du 5e Groupement de combat de Valcartier - Royal 22e Régiment, 12e Régiment blindé, 5e Régiment d'artillerie légère - se sont déployées au Saguenay, à Québec, le long du fleuve et à Montréal. Dans le West Island, on a envoyé des unités anglophones venues de l'Ontario et de l'Ouest; c'est le Royal Canadian Regiment, de Petawawa, qui gardait l'aéroport de Dorval.

Il faut aussi rappeler que ce sont trois Québécois francophones, des anciens du «22» tous les trois, qui occupaient les postes-clés dans le haut-commandement de l'époque: le général Jean-Victor Allard était chef d'état-major de la Défense, le lieutenant-général Gilles Turcot était le commandant de la Force mobile et le brigadier-général Jacques Chouinard commandait le 5e Groupement de combat et était responsable des opérations sur le terrain.

Vingt ans plus tard, Jacques Chouinard et moi sommes allés devant la commission Bélanger-Campeau sur l'avenir constitutionnel du Québec pour expliquer, moi du point de vue politique, lui du côté militaire, quels seraient les besoins d'un Québec souverain en matière de défense.

Q Quel bilan l'armée a-t-elle dressé de ses opérations au Québec en octobre 1970?

R Positif, à tous points de vue. Les opérations se sont déroulées sans anicroche et on n'a déploré aucun incident impliquant des militaires et des civils. Aucun coup de feu n'a été tiré, mais un soldat est mort à la suite d'un accident. Tout comme cela avait été le cas un an plus tôt pendant la grève des policiers, la présence des militaires a donné à la majorité de la population un sentiment de sécurité.