Marc Saulnier est un incontournable de la construction. Ses bétonnières sont partout, de l'Outaouais au Labrador, en passant par Montréal et la Baie-James. Ses liens passés avec des membres influents des Hells Angels ont toutefois fait jaser dans l'industrie. Et voilà qu'à quelques semaines d'un procès criminel qui risque de lui faire perdre son gagne-pain, La Presse apprend qu'il emploie un autre proche des Hells. Entrevue avec les deux partenaires.

Autrefois associé à deux membres influents des Hells Angels, l'entrepreneur en construction Marc Saulnier s'est adjoint les services d'un autre homme proche du groupe de motards, Louis-Pierre Lafortune.

Depuis le printemps, Lafortune se présente sur l'internet comme le «conseiller principal en acquisition de talents et développement organisationnel d'une division de Fondations Marc Saulnier. Cette division, appelée Équipements 24-07, loue de la main-d'oeuvre et des équipements, comme des grues et des pompes à béton.

Louis-Pierre Lafortune a été arrêté par la Sûreté du Québec (SQ) en novembre 2009 dans le cadre de l'enquête Diligence. Il est accusé de blanchiment d'argent et de gangstérisme. Son procès est prévu pour janvier. Parmi les huit coaccusés se trouve Normand «Casper» Ouimet, un Hells bien connu des policiers, accusé de 22 meurtres dans une autre affaire.

Selon la SQ, le réseau de Casper Ouimet noyautait des entreprises de maçonnerie par l'intimidation et y injectait de l'argent provenant du trafic de stupéfiants. De grosses sommes auraient abouti dans des paradis fiscaux.

Lafortune a été libéré sous caution après son arrestation. Peu de temps après, au début de 2010, il est entré aux services de Fondations Marc Saulnier, une entreprise en forte expansion dans le domaine du coffrage. L'arrivée de Lafortune a toutefois provoqué le départ de certains employés craintifs, ont reconnu les deux principaux intéressés, au cours d'une entrevue.

Marc Saulnier s'explique: «Je voyais plus de positif que de négatif à m'associer à lui, compte tenu de son expérience dans l'industrie. Je ne le juge pas», a-t-il déclaré à La Presse.

Lafortune ne peut toutefois «faire de comptabilité ni agir à titre de gestionnaire», selon les conditions imposées par la Cour.

Au cours d'un entretien, Louis-Pierre Lafortune se défend bien d'être cadre ou de faire de la gestion. «Alors que faites-vous?», lui a demandé La Presse.

«Je ne suis pas dirigeant du tout, explique-t-il. C'est moi qui fais parfois l'embauche de grutiers, de menuisiers et de manoeuvres. Ça me prenait un emploi et personne ne voulait m'engager... Je fais des factures le matin. Parfois, je passe des journées dans les chantiers, je m'occupe de problèmes de CSST, de plaintes de clients.»

Le bras droit

Lafortune explique également qu'il fait la prospection de marché et planifie les besoins en équipements. Bref, il est le bras droit de Marc Saulnier, reconnaît ce dernier.

Lafortune roule sa bosse depuis très longtemps dans l'industrie. En 2001, son entreprise a reçu 1,35 million de dollars du Fonds de solidarité FTQ. Elle a été vendue en 2004 à Grues Guay, dont M. Lafortune a été vice-président jusqu'à son arrestation.

Lafortune reconnaît qu'il est allé à la même école secondaire que Normand Ouimet, mais il affirme que le caïd n'est pas un ami d'enfance. Il dit qu'il ne l'a rencontré qu'en 2007, par l'entremise de l'entrepreneur Paul Sauvé. Ce dernier affirme toutefois l'inverse dans un livre publié en novembre 2011, soit que c'est Lafortune qui lui a présenté Normand Ouimet.

Quant au blanchiment d'argent et au gangstérisme dont il est accusé, Lafortune dit qu'il y a une grosse différence entre ces accusations et la réalité. «J'ai toujours été accusé par association. Pas autrement», dit-il.

Lafortune fait également l'objet d'une enquête de l'Agence du revenu du Canada, qui le soupçonne d'avoir éludé pour plusieurs millions de dollars d'impôt. Il est en liberté sous caution, mais le juge lui a retiré son passeport sauf pour un voyage au Salvador durant les Fêtes de décembre 2011.

Marc Saulnier dit lui fait confiance. « J'ai plus de sympathie pour lui qu'autre chose. Aujourd'hui, nous sommes condamnés à être parfaits, et on s'est donc mis ensemble, explique-t-il.