La boucle est bouclée. Le gouvernement Charest a accepté mercredi ce qu'il avait refusé il y a trois semaines: la commission Charbonneau sur l'attribution des contrats publics dans l'industrie de la construction se tiendra sous l'empire de la Loi sur les commissions d'enquête.

Le décret adopté par le Conseil des ministres souligne que la Commission doit veiller à «ne pas compromettre les enquêtes actuellement menées par l'Unité permanente anticorruption», a-t-il précisé.

Dans une lettre transmise au premier ministre Jean Charest, lundi, la juge Charbonneau a expliqué qu'il «apparaît essentiel pour permettre à la commission d'exécuter pleinement son mandat qu'elle jouisse de tous les pouvoirs conférés par la Loi sur les commissions d'enquête». Par conséquent, non seulement la juge aura tous les pouvoirs nécessaires pour contraindre des individus à témoigner, mais les commissaires «bénéficieront de l'immunité essentielle pour mener à terme leurs travaux». Par ailleurs, les témoins vont «bénéficier de l'immunité relativement à leur témoignage».

La juge Charbonneau a choisi ses deux co-commissaires, Roderick A Macdonald, juriste en droit public et constitutionnel de l'Université McGill, et Renaud Lachance qui, à la fin du mois de novembre, terminera son mandat de 10 ans à titre de vérificateur général du Québec.

Ultime volte-face

Le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, a eu fort à faire pour justifier la nouvelle volte-face. «Le gouvernement a toujours cherché à minimiser les risques aux enquêtes policières. On a donné le mandat à la juge Charbonneau et elle était en mesure de juger de l'utilité d'obtenir d'autres outils», a-t-il expliqué.

Le décret est un nouveau recul de Québec qui, au début, ne voulait même pas accorder le pouvoir de contrainte des témoins à la juge Charbonneau. Par la suite, après les critiques acerbes du Barreau du Québec, le premier ministre Charest a annoncé au congrès libéral que la juge pourrait contraindre les témoins à se présenter devant elle. Par la suite, il a ajouté que Mme Charbonneau pourrait demander carrément de fonctionner en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête.

Quand on lui demande s'il est «gêné» de faire aujourd'hui ce qu'il jugeait inopportun il y a trois semaines, le ministre Fournier se fait évasif. «Je vois plutôt cela comme l'évolution d'une situation», a-t-il répliqué. «Chaque jour, on cherche à prendre la meilleure décision pour l'intérêt public», a-t-il laissé tomber.

Opposition

«Le patinage artistique est terminé avec ce magnifique salto arrière du gouvernement», a lancé Véronique Hivon, porte-parole péquiste en matière de justice. Elle déplore qu'il «ait fallu que le gouvernement soit acculé au pied du mur» pour accepter ce que réclamait depuis le début le milieu juridique québécois. Ministre de la Justice, à ce titre protecteur des institutions et de la justice au Québec, le ministre Jean Marc Fournier sort profondément affaibli de ce feuilleton, selon elle. Le ministre de la Justice doit, dans notre système, être capable de dire non au premier ministre. «C'est son rôle fondamental, se placer au-dessus de la joute partisane, politique. Ce n'est pas ce qui a été fait dans les dernières semaines.»

Selon Sylvie Roy, de l'Action démocratique, «948 jours après avoir réclamé cette commission d'enquête, après les pirouettes et les tergiversations, le gouvernement se rend à la raison». Elle salue les choix de la juge Charbonneau pour les co-commissaires, en particulier celui de Renaud Lachance. «Il y a beaucoup d'aspects financiers, et il se promène dans les corridors des ministères depuis de nombreuses années, son expérience sera mise à profit» et sera complémentaire à l'expertise de la juge en matière de droit.

«Cette commission Charbonneau est bien partie, avec cette lettre au premier ministre, observe Amir Khadir, de Québec solidaire. C'est probablement deux ans de retard sur ce qui aurait pu être fait immédiatement.»

Selon Québec, le mandat de la Commission sera «d'examiner l'existence de stratagèmes et, le cas échéant, de dresser le portrait de ceux qui impliqueraient de possibles activités de collusion et de corruption dans l'octroi et la gestion de contrats publics dans l'industrie de la construction, incluant notamment les organismes et les entreprises du gouvernement et les municipalités, et les liens possibles avec le financement des partis politiques».

Les commissaires devront «dresser un portrait de possibles activités d'infiltration de cette industrie par le crime organisé et examiner des pistes de solution». On leur demande aussi de faire des recommandations afin d'«identifier, d'enrayer et de prévenir la collusion et la corruption dans l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction». Le mandat de la juge Charbonneau couvre les 15 dernières années.