Les chefs de police de Montréal et de Québec n'ont pas déconseillé au premier ministre de créer une vraie commission publique de type «Gomery» avec pouvoir de contrainte au prétexte que cela nuirait aux enquêtes, ou donné quelque avis sur sa forme et ses limitations, comme l'allocution de Jean Charest le laissait pourtant entendre.

Mercredi, M. Charest a dit qu'il avait «taillé sur mesure» la commission Charbonneau «sur la base des consultations» de son sous-ministre de la Sécurité publique avec les chefs de police de Montréal, de Québec ainsi que le commissaire Robert Lafrenière, chef de l'Unité permanente anticorruption (UPAC).

Il a notamment déclaré: «Les juristes et les policiers nous ont rappelé que la mise sur pied d'une commission d'enquête a des conséquences sur les enquêtes policières et les procès criminels.» Il a aussi parlé de la nécessité de protéger la preuve accumulée.

Si le commissaire de l'UPAC, Robert Lafrenière, n'a jamais fait mystère de son opposition à une vraie enquête publique, quelle que soit sa forme, le malaise est désormais palpable au sein des corps policiers.

Qu'est-ce que les chefs de police ont dit ou n'ont pas dit au sous-ministre? Ont-ils donné leur avis sur la forme de la commission et ses limitations? Des questions simples qui ont suscité l'embarras dans les services concernés.

Selon nos sources, les propos de Jean Charest ont semé la stupeur au sein de la hiérarchie policière montréalaise. On n'aurait pas apprécié le fait de se retrouver en porte-à-faux, coincé entre ses membres qui, par la voix de leur chef syndical Yves Francoeur, considèrent qu'il est faux de prétendre qu'une commission de type Gomery saborderait les enquêtes, et le gouvernement qui se servirait des chefs de police comme caution.

Le chef de police Marc Parent n'a pas voulu accorder d'entrevue.

Or, dans un courriel adressé à La Presse, le service de police de Montréal a tenu «à préciser qu'il n'a jamais été consulté sur la forme que pourrait prendre une telle commission ou la décision d'en tenir une». Le chef Parent a seulement «été consulté sur les préoccupations et sur les impacts potentiels de la protection de la preuve que pourrait avoir une commission d'enquête sur la construction».

À la police de Québec, le chef Serge Bélisle, qui devait accorder une entrevue à 13h hier, a finalement renoncé à «commenter une décision politique qui appartient au gouvernement», écrit-il dans un courriel.

Étonnamment, il reprend ensuite presque mot pour mot les précisions apportées par la police de Montréal quant aux interrogations du sous-ministre sur «les impacts potentiels sur la protection de la preuve». La police de Québec ne participe pas à l'escouade Marteau.

Dans le clan syndical, on marche sur des oeufs. Bernard Lehré, président de la Fraternité des policiers de Québec, a évité de se prononcer sur le coeur du sujet, à savoir l'impact d'une commission sur les enquêtes. Il se borne à dire que la commission Charbonneau est «une étape de plus» après le travail de l'escouade Duchesneau, et il jugera d'après les résultats.

Dans son entrevue à La Presse, le chef syndical des policiers de Montréal a aussi remis en question l'indépendance de l'Unité anticorruption, à laquelle est rattachée l'escouade Marteau, chargée d'enquêter sur les dossiers de collusion et de corruption.

Le commissaire Lafrenière n'a pas voulu répondre aux questions de La Presse. «Le commissaire à la lutte contre la corruption a toute l'indépendance requise pour mener ses enquêtes, coordonner et diriger son unité», a fait savoir dans un courriel laconique la porte-parole de l'organisme Anne-Frédérick Laurence.